and we danced
❝If you want your children to be intelligent, read them fairy tales. If you want them to be more intelligent, read them more fairy tales. ❞ DOUZE SEPTEMBRE MIL NEUF CENT QUATRE-VINGT-DIX-HUIT → « Maman, il faut te lever ! » La petite fille blonde de huit ans que j’étais sauta sur le lit de ses parents. Mon père était déjà levé, prêt à partir travailler. Mon père, c’était un héros. Du moins, c’était ce que je voyais de mon point de vue de petite fille. Aujourd’hui encore, je le pensais. Ma mère avait grommelé en se réveillant.
« Quand est-ce qu’on jour de repos sera un vrai jour de repos ? » Mon père avait ri avant de l’embrasser.
« Dans environ une dizaine d’années. » Maman s’était levée, et m’avait embrassée sur le front. Mes parents étaient sortis de la maison pour se dire au revoir.
« Je t’aime, ma chérie. » Encore un baiser. Ils s’embrassaient vraiment beaucoup. Je trouvais ça… bizarre. J’avais huit ans.
« Je t’aime aussi. » J’étais sortie de la maison avec un grand sourire.
« J’vous aime aussi. » J’avais dit cela sur un ton chantant, j’étais tellement pleine de vie. Ils avaient souri, les yeux pétillants de fierté face à leur petit trésor. Maman m’avait pris la main.
« Dis au revoir à ton père. » Ce dernier s’était baissé pour se mettre à ma hauteur, j’avais passé mes petits bras autour de son cou et lui avais déposé un baiser sur la joue.
« Au revoir, papa. » J’étais loin de m’imaginer que ce câlin de petite fille serait le dernier, que ce baiser sur la joue serait le dernier, que ce
au revoir était en fait un adieu. Dans la journée, maman avait reçu un appel, j’avais vu son visage se décomposer, j’avais vu ses larmes couler instantanément. Aujourd’hui, je m’en souvenais encore. C’était gravé dans ma mémoire.
« M’man ? » Je n’avais jamais vu ma mère ainsi. Elle m’avait posée sur ses genoux, et elle m’avait raconté. Mon père était mort en héros. Mon père était un héros. A l’enterrement, Jackson m’avait pris la main. Il était mon meilleur ami. Son père était le coéquipier du mien. Ma mère était bien trop triste pour me prendre la main. Ma mère a fait la connaissance de l’alcool. Elle avait perdu l’amour de sa vie, elle avait perdu une de ses raisons de vivre. Même moi, je n’avais pas été une assez bonne raison pour l’empêcher de tenter de se suicider. Heureusement, le père de Jackson passait à la maison ce jour-là.
« Je suis désolée, ma puce. J’suis vraiment désolée, j’sais pas ce qui m’a pris. » Ses larmes coulaient. Encore une fois. C’était moi qui lui avais pris la main. Elle était ma mère, elle était ma famille.
▲ ▲ ▲ ▲DIX JUILLET DEUX MIL QUATRE → « Comment tu te sens, Joana ? » Que se passait-il ? J’étais complètement désorientée. Le premier mot qui me venait à l’esprit était…
« Endormie. » Le médecin eut un sourire. J’étais à l’hôpital. Je me souvenais à présent. J’avais fait un malaise. Oh non, j’étais au collège à ce moment-là. La honte ! J’étais déjà la fille qu’on pointait du doigt parce que j’étais du genre à préférer être dans mes bouquins plutôt qu’à jouer. J’étais celle qui avait giflé une fille parce qu’elle s’était moquée de moi et surtout de la mort de mon père.
« C’est normal. Il faut que tu te reposes. » Me reposer ? Pourquoi ça ? Je n’avais pas beaucoup attendu avant d’avoir des explications. Ma mère avait un visage inquiet. William lui tenait la main, lui aussi avait l’air inquiet. J’étais contente qu’elle ait trouvé quelqu’un comme lui. Il l’avait aidée à aller mieux, il l’avait aidée à aimer de nouveau. Je l’appréciais beaucoup. Il était attentionné avec moi. William et maman s’étaient approchés de moi.
« Qu’est-ce qu’il se passe ? On peut pas rentrer maintenant ? » Elle m’avait pris la main.
« Jo, tu es malade. » Le mot n’avait pas atteint mon cerveau immédiatement.
« Bah quoi ? J’ai un rhume, un truc dans le genre ? » J’étais stupide, ou trop naïve. Et puis, leurs têtes m’avaient fait réaliser. Ce n’était pas un simple rhume, ce n’était pas malade dans le sens que j’entendais. C’était plus grave. Je ne savais même pas si je voulais savoir ce que j’avais. Mais il le fallait. Cardiomyopathie hypertrophique. Je comprenais à peine ce que ça voulait dire. J’avais un problème au cœur. C’était génétique apparemment. Ça venait de se déclarer. A partir de maintenant, je devrais prendre des médicaments. Je serais faible toute ma vie. Mon cœur loupait un battement et je pouvais ne plus faire partie de ce monde. Je rejoindrais papa. La peur s’était emparée de moi. Je n’arrivais pas à la faire s’éloigner. Heureusement, le regard de ma mère et Will ne changea pas. Ils me soutenaient. Ils m’aimaient. Et ils s’aimaient vraiment. Un soir, ma mère était venue s’installer près de moi, sur mon lit. Je savais qu’elle voulait me dire quelque chose.
« Tu sais Jo’, j’aimerais toujours ton père. Mais j’aime énormément William. » J’avais souri. Je le savais. Je savais qu’elle aimerait toujours papa, et je savais aussi qu’elle aimait William. Elle le regardait comme elle regardait mon père. En me voyant sourire, elle avait continué.
« Will m’a demandé de l’épouser. » Mes yeux s’étaient éclairés.
« Tu lui as dit oui j’espère. » Je l’avais prise dans mes bras.
« Je t’aime, maman. Et j'aime William aussi. » Cela se sentait, elle voulait mon feu vert. Et elle l’avait. Bien sûr qu’elle l’avait.
« Merci, ma chérie. » Ça faisait au moins une bonne nouvelle.
▲ ▲ ▲ ▲VINGT-CINQ NOVEMBRE DEUX MIL SEPT → « Je crois que je suis amoureux. » J’avais souri.
« C’est génial, Jacks’, et tu lui annonces quand ? » Je connaissais sa timidité. Si cette fille ne faisait pas le premier pas, alors il ne le ferait jamais. Pourtant, à son sourire, je compris que le premier pas avait été fait.
« On est ensemble, Jo. » Il était heureux, je pouvais le sentir. Et j’aurais dû être heureuse pour lui. Pourtant, j’avais senti mon cœur se serrer. C’est parce que tu le connais depuis des lustres. C’était ce que je me disais. Mais il y avait autre chose. Plus il me parlait de cette fille, plus il me disait à quel point elle était belle et géniale, plus la jalousie montait en moi, et plus j’avais envie de lui demander de se taire, de ne plus dire un mot concernant cette autre qu’il aimait. Il m’abandonnait.
« J’espère que tu trouveras quelqu’un toi aussi, comme ça, on fera des sorties à quatre. » Je l’avais regardé, je m’étais forcée à sourire.
« Ça serait génial, mais tu sais que je suis compliquée à satisfaire. » Ça, c’était vrai. J’étais exigeante, et pas seulement avec les autres, je l’étais aussi avec moi-même. Il avait ri. Son rire était communicatif, c’était grâce à lui que nous étions devenus amis d’ailleurs. Les meilleurs amis. Et, on savait tous qu’il ne fallait pas avoir de sentiments amoureux pour son meilleur ami, sous peine de gâcher cette si belle amitié.
« J’ai quand même le droit à un câlin avant que tu m’abandonnes définitivement pour ta chérie ? » J’avais froncé le nez, comme la petite fille boudeuse que j’étais. Parce qu’à dix-sept ans, on est encore des enfants finalement. Il s’était approché de moi et m’avait serrée dans ses bras.
« Arrête, je t’abandonnerais pas. » Jackson avait un an de plus que moi, son père était ami avec le mien depuis leurs années à la fac’, ils étaient même coéquipiers quand mon père était mort, alors Jacks’ et moi, on se connaissait depuis le berceau. Personne au monde ne me connaissait mieux que lui, et inversement. Finalement, ça tombait sous le sens, je ne pouvais que tomber amoureuse de lui. Il s'était légèrement reculé, mais je pouvais toujours sentir son parfum.
« Tu sais bien que j’t’aime, Minipouss. » J'avais baissé les yeux. Oui, je le savais mais ce n'était pas pareil, il m'aimait, mais comme sa meilleure amie, il n'était pas amoureux. Et je ne devrais pas l'être non plus.
« Moi aussi. » Si seulement il savait que je ne le disais pas uniquement amicalement... Il avait quelqu’un à présent. Il n’était plus seulement mon meilleur ami. Il n’était plus à moi. J’étais sans doute un brin trop possessive.
▲ ▲ ▲ ▲VINGT MARS DEUX MIL HUIT → « Micah, elle m’a quitté. » C’était mal, je le savais mais mon cœur ne fit qu’un bond. Une part de moi était heureuse de cette nouvelle. Jackson était mon meilleur ami, j’avais presque fait taire mes sentiments pour lui depuis qu’il m’avait annoncé ses sentiments pour cette autre fille. Je ne m’étais même pas intéressée à elle, faisant comme si je l’appréciais devant lui. J’avais baissé la tête. Je me sentais coupable. Il était sans aucun doute malheureux. Je ne devrais pas être contente, je devrais simplement le soutenir.
« Je suis désolée pour toi. » Je l’avais laissé entrer, et nous étions allés dans ma chambre. Je l’avais regardé. Il n’avait pas l’air si malheureux finalement. Cela m’intriguait. Alors, j’osais. J’osais poser la question qui me brûlait les lèvres.
« Pourquoi elle t’a quitté ? » Je m’étais assise sur le lit, attendant la réponse.
« Elle était jalouse… de toi. » J’avais froncé les sourcils, comme je le faisais toujours quand je ne comprenais rien à ce qu’il se passait autour de moi. Il ne m’avait pas laissé le temps de poser la question, de demander pourquoi.
« Elle dit que ça crève les yeux qu’on s’aime. » J’avais ri. Du moins, j’avais tenté de rire.
« C’est ridicule. » Je voulais me convaincre que ça l’était, j’avais passé ces quatre derniers mois à me persuader que mes sentiments pour lui l’étaient.
« Tu crois ? » Il était sérieux, je le voyais dans ses yeux. Yeux que je ne pouvais plus quitter. Je ne riais plus. Je le regardais s’approcher de moi, me sourire, me prendre la main et m’attirer à lui. Je me laissais totalement faire. Dieu que j’avais rêvé de cet instant. Le vivre était encore mieux. Lorsqu’il posa ses lèvres sur les miennes, je me sentis transporter, je n’avais plus l’impression que mes pieds touchaient le sol.
« Ce n’est pas ridicule. » Il avait quitté mes lèvres pour me murmurer ceci à l’oreille. Mais la vérité était que je voulais ses lèvres alors je n’avais pas répondu, je m’étais de nouveau emparé de sa bouche, dans un nouveau baiser. Le rêve devenait réalité. Mes sentiments étaient réels. Et partagés. J’avais l’impression d’être transportée sur un petit nuage. Soudain, je me sentais belle, je me sentais meilleure, je n’étais plus malade. J’étais simplement aimée. C’était donc ça l’amour, le bonheur. Je voulais que cet instant dure, que ça ne s’arrête jamais. Notre amour était tellement fort. Ça crevait les yeux. Quelques semaines plus tard, nous nous retrouvions chez lui.
« Je t’aime tellement, Joana. » Il m’avait embrassée tendrement. Je me sentais prête à m’offrir à lui. Il était tendre, il était doux.
« Je t’aime aussi. » J’avais répondu alors que je lui enlevais son t-shirt. Je voulais qu’il comprenne que c’était ce que je voulais. Je lui donnais l’accord d’aller plus loin. Accord qui ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd. Cette nuit-là avait été si magique.
▲ ▲ ▲ ▲SEPTEMBRE DEUX MIL DIX → Pourquoi ça faisait si mal ? Pourquoi j’avais mal comme ça ? Cette douleur était insupportable. Cela faisait deux mois que j’avais perdu Jackson. Son frère m’avait difficilement annoncé qu’il avait eu un accident de voiture. Je lui avais pourtant dit de pas conduire son tas de ferraille, que c’était dangereux pour lui. Mais il l’avait fait quand même. Je me souvenais encore qu’il m’avait embrassée en me disant
« t’en fais pas, je maîtrise. » Il maîtrisait peut-être mais le chauffard ivre qui l’avait renversé ne maîtrisait rien du tout. Et son tas de ferraille avait plié si aisément. J’entendais encore la voix de son frère me disant qu’il était désolé. Il avait les yeux rouges tellement il avait dû pleurer. Les deux frères étaient presque tout l’un pour l’autre. Leur mère était partie, leur père était souvent absent maintenant qu’il était devenu commissaire alors ils comptaient l’un sur l’autre. Il m’avait prise dans ses bras et j’avais pleuré. Des heures… Ca faisait deux mois et cette putain de douleur ne partait pas. Tout ce que je voulais, c’était rester dans mon lit, pleurer en écoutant de la musique triste. Je n’arrivais pas à m’empêcher d’avoir mal. Il n’avait pas le droit de mourir. Il n’avait pas le droit de m’abandonner après ces trente mois parfaits. J’en voulais plus. Beaucoup plus. Mais, c’était fini. Quand il est mort, j’avais appris que j’étais enceinte. J’aurais pu avoir une partie de lui. Mais même ça je n’avais pas su le garder, j’avais fait une fausse couche. Aujourd’hui, je n’en pouvais plus de ressentir cette souffrance, de fermer les yeux pour ne voir que son visage. Je ne dormais plus, je ne mangeais plus. J’avais fini l’année tant bien que mal et, depuis le début des vacances, je restais enfermée dans ma chambre. Je ne voulais plus en sortir. Alors, j’avais pris une décision. Si Jackson n’était plus de ce monde, je n’en ferais plus partie non plus.
« Qu’est-ce que je fais là ? » J’étais encore à moitié endormie. Une chose était sûre, je n’étais pas morte. Qui avait bien pu m’empêcher de me sortir de cet enfer ?
« Tu voulais vraiment m’abandonner ? » Je déglutis difficilement, et regardais ma meilleure amie. La seule qui daignait encore passer me voir à la maison depuis le début des vacances.
« J’peux pas continuer sans lui. » J’avais senti sa main attraper la mienne.
« Je sais. » Je n’avais pas besoin de plus, je n’avais pas besoin qu’elle se lance dans de grands discours. J’avais simplement besoin d’elle, besoin qu’elle me comprenne. Une nouvelle larme coula le long de ma tempe. Non, je ne voulais plus pleurer. La colère s’empara de moi et, je me rendis compte que je lui en voulais.
« T’aurais pas dû me sauver. J’veux pas vivre sans lui, tu comprends ? J’peux pas vivre sans lui. Pourquoi tu m’as pas laissé le rejoindre ? » Elle n’avait rien répondu, sans doute croyait-elle qu’il fallait que je passe ma colère sur elle avant de venir vers elle. Si tel était le cas, alors elle avait tort. Je ne voulais pas d’elle à cet instant, je ne voulais de personne. Je ne voulais que Jackson.
« Laisse-moi tranquille. » J’avais tourné la tête. Elle avait lâché ma main.
« Je reviendrais demain. » J’étais restée plusieurs jours à l’hôpital. Ça me parut une éternité mais ils voulaient être sûrs que je n’essaierais pas à nouveau de mettre fin à mes jours. Je pouvais bien attendre encore quelques jours de plus, après tout. Ma meilleure amie était passée tous les jours. Mes parents aussi. Et puis j’étais rentrée, j’avais retrouvé mon lit. J’avais tenté une nouvelle fois d’en finir mais ma mère m’en avait empêchée. Encore quelques jours à l’hôpital. A nouveau, j’étais rentrée chez moi, à nouveau j’avais plongé au fond de mon lit.
« Ta mère et moi, on doit te parler, Joana. » Quand il m’appelait par mon prénom complet, ce n’était pas pour me faire des compliments. Toujours allongée sur mon lit, je n’avais même pas daigné les regarder. J’avais senti un poids à mes pieds, sans doute ma mère qui s’était assise sur mon lit. Elle avait posé sa main sur une de mes jambes. Je ne la regardais pas mais je visualisais parfaitement le regard triste qu’elle m’adressait à cet instant.
« Tu ne sors plus de cette chambre… Laisse nous t’aider. Parle-nous. » Où voulait-il en venir ? Non, je n’avais pas envie de sortir de cette chambre.
« Jo’. » La voix de ma mère était presque suppliante. A ma seconde tentative de suicide, j’avais senti qu’elle était à deux doigts de m’abandonner. J’avais ressenti toute sa tristesse à l’idée de me perdre quand elle m’avait dit
« Ne me laisse, Ana, tu es ma petite fille. » Je les avais regardés. Ils étaient réellement inquiets. Je m’en voulais. J’avais acquiescé, je m’étais levée. J’étais retournée en cours, prête à affronter les regards sur la pauvre fille qui avait perdu son premier amour et qui avait tenté d’en finir. J'entrais en troisième année de lettres. J'avais une nouvelle matière que j'attendais particulièrement : littérature anglaise. Qui disait nouvelle matière disait nouveau professeur. Thomas Bradshaw. Lorsque mon regard avait croisé le sien, quelque chose de bizarre s'était produit. Je ne saurais l'expliquer. J'avais l'impression étrange qu'il était aussi brisé que moi.
▲ ▲ ▲ ▲DIX-HUIT OCTOBRE DEUX MIL DIX → « Dites, monsieur Bradshaw, j’ai lu le livre que vous nous avez conseillé. » J’avais attendu la fin du cours, j’avais attendu que tout le monde sorte pour me retrouver seule avec lui. J’avais vu son air surpris.
« Je crois bien que vous êtes la seule à lire les livres conseillés par les profs. » J’avais souri. C’était sans doute vrai. Mais personne ne pouvait être passionné de littérature comme je l’étais. Surtout en ce moment, je m’étais plongée dans mes livres pour ne pas avoir à penser à Jackson. J’en avais assez de pleurer, de me terrer au fond de mon lit. Pour ma famille, je devais arrêter. Je devais donner une bonne image à ma petite sœur. Elle avait deux ans, elle faisait tout comme moi. Je l’avais vue passer ses mains dans ses cheveux, comme je le faisais moi-même. Elle était adorable. Je me devais d’être un bon modèle pour elle. Alors, j’avais essayé d’arrêter de me terrer au fond de mon lit dès que je me retrouvais chez moi. Heureusement, j’avais pris un appartement, j’avais pris mon indépendance, donc ma petite sœur ne me voyait pas pleurer quand j’avais un instant de faiblesse. J’avais souri devant la surprise de mon professeur.
« Oui. Je me disais que vous pourriez peut-être m’en conseiller d’autres. » Qui mieux qu’un professeur de littérature anglaise pour me conseiller des bouquins ? Il avait acquiescé. C’était la première fois que je l’observais de si près. Il était vraiment bel homme. Il avait une voix douce, un joli sourire. Il me faisait penser à Jackson, en plus vieux. Je crois que je ne m’étais pas trompée à son premier jour de cours, cet homme était tout aussi brisé que moi. Il m’avait donné une liste de quelques livres. Je les avais tous achetés en rentrant. Je n’avais pas mis longtemps à les lire et à lui en redemander d’autres. Sans même nous en rendre compte, nous avions commencé à nous voir régulièrement. La plupart du temps entre les cours, ou pendant la pause déjeuner. Nous parlions de littérature sans voir le temps passer. Enfin, je me sentais bien, je me sentais mieux.
▲ ▲ ▲ ▲TROIS AOÛT DEUX MIL DOUZE → « Et voilà, terminé. » Je ne m’étais pas embarrassée de salutations lorsqu’il m’avait ouvert la porte de son appartement.
« Et bien, je vais bientôt être à court de bouquins à te conseiller. » J’avais ri en entrant dans son appartement. C’était étrange comme c’était naturel entre nous. Je n’avais pas l’impression qu’il était mon professeur. Pourtant, c’était le cas. Je n’arrivais pourtant pas à garder mes distances avec lui. Nous avions continué de nous voir. Depuis deux ans, il me conseillait des bouquins, anglais ou non d’ailleurs. Depuis deux ans, nous nous voyions régulièrement. Nous passions des pauses déjeuners ensemble à parler bouquins. Parfois, nous parlions de nous. Enfin, pas de nos secrets. Je ne lui avais jamais parlé de ce qui m'avait brisée. Et inversement, il ne m'avait jamais parlé de ce qui l'avait brisé. L’an dernier, nous ne nous étions pas vus pendant l’été. Cette année, c’était différent. Je me sentais proche de lui. Je savais ce que ça signifiait. Je le savais parfaitement. J’avais déjà éprouvé ce sentiment. J’étais amoureuse. Amoureuse de mon professeur. Moi qui voulais rester droite et honnête, voilà que j’étais amoureuse de mon professeur, soit l’amour interdit. La poisse. Thomas avait rangé le bouquin que je lui avais apporté et revenait vers moi avec un autre.
« En voilà un autre. » Avec un sourire, je m’emparais du bouquin. Seulement, au moment de le prendre, nos mains se touchèrent. Je n’osais plus bouger ma main. Soudain, comme si j’avais reçu un électrochoc, j’enlevais ma main.
« Je suis désolée. » Je l’avais regardé froncé les sourcils. Il ne comprenait pas. A dire vrai, je ne comprenais pas non plus. Ce n’était rien de lui avoir touché la main.
« Il ne faut pas. » Sans que j’ai le temps de faire quoi que ce soit, ses lèvres étaient sur les miennes. C’était doux, c’était magique. C’était la même sensation que mon premier baiser avec Jackson. Je n’avais plus aucun doute à présent. J’aimais Thomas. J’aimais Thomas comme j’avais aimé Jackson. Je le voulais.
« Nous n’avons pas le droit de faire ça. » Je m’étais pourtant reculée. Et j’avais fui. Comme une lâche. J’étais rentrée dans mon propre appartement. Seule. Il ne me restait que mes yeux pour pleurer. Je devais l’oublier. Je devais faire comme si rien ne s’était passé. Je retournerais en cours la tête haute.
▲ ▲ ▲ ▲VINGT-HUIT DÉCEMBRE DEUX MIL DOUZE → « Monsieur Bradshaw ? Qu’est-ce que vous faites là ? » Depuis notre premier baiser, j’avais tenu mes distances avec lui. A la fin de ses cours, je me dépêchais toujours de partir pour ne pas qu’il m’intercepte. Bien que je pensais que ça ne le dérangeait pas qu’on prenne nos distances. Je me demandais ce qu’il faisait à ma porte. Pourquoi était-il là ? Il ne pouvait pas me faire ça. Je tentais de l’oublier, je tentais d’oublier la douceur de ses lèvres, je tentais de taire mes sentiments pour lui. Il m’avait aidé à aller mieux. Il m’avait aidé à soigner mon cœur brisé, mon âme brisée. Je sentis mes sourcils se froncer. Je le laissais entrer. Je n’allais tout de même pas le laisser sur le pas de la porte. Je n’osais pas le regarder dans les yeux. C’était la première fois que j’étais gênée en sa présence.
« Je peux pas faire comme si de rien n’était. » J’avais peur de comprendre de quoi il parlait. J’avais peur parce que nous n’avions toujours pas le droit. Nous ne pouvions pas. La surprise me fit pourtant lever les yeux vers lui. Il était sincère, je le voyais dans ses yeux.
« Moi non plus. » J’avais presque murmuré, je savais, qu’à cet instant, je devais avoir les yeux pétillants.
« Je… » Les mots s’étaient coincés dans ma gorge mais je devais poursuivre.
« Je suis amoureuse de vous, mais on ne peut pas faire ça. » C’était bien moi ça, vouloir faire les choses correctement, ne pas vouloir transgresser les règles. Pourtant, je l’aimais de tout mon cœur. J’avais continué.
« Vous êtes mon prof… et puis, je suis malade. » C’était la première fois que je lui parlais de ma maladie. Il ne m’avait jamais vu affaiblie, il ne m’avait jamais vu prendre mes médicaments. Je ne lui avais rien dit. Je voyais qu’il ne comprenait pas ce que je voulais dire. Tout comme moi quand je l’avais appris, il devait penser que j’avais une maladie qui se guérit facilement. Je pris une profonde respiration avant de lui expliquer.
« J’ai une cardiomyopathie hypertrophique. C’est grave. » En parlant de mon cœur, je le sentais battre de plus en plus fort dans ma poitrine, comme si il voulait en sortir. Inutile de dire que je préférais le sentir battre plutôt que l’inverse. Si mon cœur loupait un battement, je pouvais simplement mourir. Je le vis esquisser un sourire.
« Pourquoi vous souriez ? » Son attitude me laissait perplexe. Je le regardais s’approcher de moi. Je ne bougeais pas. J’étais, de toute manière, incapable de bouger. Il était très proche à présent, il avait pris ma main.
« Je serais là pour toi, ne t'inquiètes pas. » Je ne pouvais pas lui résister. Il était tout ce qui me faisait rêver. Il était comme Jackson. Je fermais les yeux quelques secondes. Lorsque je les rouvris, son visage n’était qu’à quelques centimètres du mien. Il déposa ses lèvres sur les miennes, doucement comme si il attendait mon approbation. Je ne pouvais pas lui résister. Au diable les règles ! Je rapprochais mon corps de lui, et intensifiais son baiser. Je ne pouvais me contrôler. Je n’y arrivais pas, mon désir était trop fort, c’était comme un besoin.
« J’ai envie de toi. » Je lui avais murmuré à l’oreille. Je savais que ça n’allait pas le laisser indifférent. J’avais raison. Il m’avait immédiatement enlevé mon t-shirt. Une nuit magique dans ses bras.
▲ ▲ ▲ ▲SEIZE JUIN DEUX MIL TREIZE → « Joana, est-ce que tu as oublié ton contraceptif ces derniers mois ? » Je venais pour une visite habituelle chez mon médecin à cause de ma maladie. Quel rapport y avait-il avec mon contraceptif ? Je fronçais les sourcils. Je n’avais pas besoin de réfléchir, j’étais réglée comme du papier à musique, je n’oubliais jamais de prendre mon
anti-bébé comme je l’appelais souvent.
« Bien sûr que non. » Ma réponse était si spontanée et vive que le médecin ne put s’empêcher de sourire. Seulement, je voulais qu’il me dise ce qu’il avait derrière la tête.
« Il y a un problème ? » Il regarda à nouveau le papier où étaient inscrits les résultats de ma dernière prise de sang. Je détestais ce silence.
« Je ne sais pas. Ça dépend. Tu es enceinte, Joana. D’environ un mois. » Un mois. J’étais tellement surprise que je gardais le silence. Je regardais à nouveau le Docteur Harper.
« Mais, c’est impossible, je croyais qu’avec ma fausse couche, j’avais peu de chance de retomber enceinte, et j’ai mon anti-bébé. » J’étais dans un état total de déni. Je refusais d’y croire. Ce n’était tout simplement pas possible. Il avait posé sa main sur mon épaule, et il avait repris la parole d’un air compatissant.
« Je sais, pourtant c’est le cas. Je crois que tu devrais en parler à ton compagnon, que vous réfléchissiez à ce que vous faites. » J’avais déglutis difficilement. Mon compagnon. Ce que l’on faisait. Encore une fois, je ne comprenais pas où il voulait en venir. Me demandait-il si je comptais avorter ?
« Qu’est-ce que vous voulez dire ? » J’avais peur de savoir où il voulait en venir mais je préférais l’entendre.
« Et bien, tu es malade, donc si tu décides de garder ce bébé, tu seras surveiller de près. Tu devras te reposer, sinon j’ai peur que ton cœur ne tienne pas. » C’était bien ce que je pensais. Ma maladie. Je sentis une larme couler le long de ma joue. Je ne savais pas comment j’allais pouvoir annoncer ça à Thomas. J’avais encore une année d’études. Officiellement, j’étais célibataire, et on allait me prendre pour une traînée si j’étais enceinte en étant normalement seule. Ce n’était pas mon premier souci. Je redoutais la réaction de Thomas. J’étais certaine qu’il s’éloignerait de moi, j’étais certaine qu’il ne voudrait pas de ce bébé. Mais le docteur Harper avait raison, je devais en parler avec lui. Je posais la main sur mon ventre. Ça me faisait penser à ma première fausse couche. Je n’avais pas réalisé que je voulais être maman avant de subir ça. A présent, une nouvelle chance m’était donnée. Peut-être la seule. Une partie de moi ne voulait pas la laisser passer.
« On se revoit dans peu de temps, d’accord ? » J’avais acquiescé d’un signe de tête.
« Ne t’inquiètes pas, ça va aller. Ta maladie n’a pas évolué ces derniers temps. » Comme si ça pouvait me rassurer. Je le remerciais d’un signe de tête. Enceinte. Je pouvais donner la vie.
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