~ À QUOI RESSEMBLAIT TA VIE AU LYCÉE?
Si je répondais à un véritable enfer, vous me croiriez ? En fait, peu importe si vous me croiriez ou non, c’était tout simplement vrai. Je n’avais jamais vraiment eu beaucoup d’amis, sans doute parce que j’étais trop pauvre alors je ne devais pas mériter un peu d’attention et d’amour. Et puis, depuis toute petite, je voulais que mon père soit fier de moi, qu’il voit ma mère quand il me regarde. Elle était la femme de sa vie, et s’il s’est si bien occupé de moi, je savais que c’était parce que j’étais une part d’elle. Oui, nous manquions d’argent mais pas d’amour. Les préjugés font mal. On me pointait du doigt parce que j’étais la fille qui n’avait jamais eu de maman, qui n’avait pas beaucoup d’amis, mais qui avait des bonnes notes. Tout pour les ragots, effectivement. Heureusement, il y avait Maggie, ma meilleure amie depuis les couches culottes. Et puis, il y avait lui. Noah. Je l’avais rencontré lors de ma première année de lycée. J’étais dans le couloir, subissant les regards des gens. Comme à mon habitude, j’avais enfoui la tête dans mon casier pour essayer de les ignorer. En me retournant, un groupe de filles m’avait bousculée, faisant tomber tous mes bouquins. Je n’avais jamais vraiment su pourquoi il avait fait le geste de m’aider, lui qui était sportif et populaire. « Fais pas attention à elles, tu vaux mieux que ça. » J’avais relevé la tête, étonnée, et il m’avait souri. J’étais tombée amoureuse de ce sourire. Ouais, le lycée était un enfer mais j’avais tout de même quelques amis, et particulièrement deux personnes qui rendaient ma vie bien plus belle.

   ~ ES-TU HEUREUX PRÉSENTEMENT?
Je ne suis pas certaine de vouloir répondre à cette question. Le bonheur, c’était quelque chose dont je croyais dur comme fer, même si j’étais toujours aussi pauvre. D’ailleurs, c’était cette pauvreté qui m’avait enlevé ce bonheur. J’ai à peine vingt-deux ans, et je viens de perdre mon fiancé. Par perdre, j’entends qu’il est décédé, je l’ai pas perdu en allant faire les courses au supermarché. La vie est si triste. Il n’avait pas besoin de braquer une banque pour me prouver qu’ils nous aimaient. Nous ? Je parle de moi, et de notre adorable bébé, Lucy. Quand Noah m’avait présentée à ses riches parents, ils lui avaient immédiatement demandé de me quitte soi-disant parce que je n’en voulais qu’à leur argent. Noah m’avait choisie alors ils l’ont renié. Il était tombé dans la même pauvreté que la mienne, mon père ayant accepté de l’héberger. Nous étions amoureux, nous étions heureux, nous avions rapidement voulu un enfant. Il était clair que notre appartement était minuscule pour trois, mais je m’en fichais. Noah voulait tout nous offrir, il voulait nous décrocher la lune. Résultat, lui et son meilleur ami –également parrain de Lucy- avaient organisé un braquage. L’idée était ridicule, je leur avais dit. Mais ils n’en avaient fait qu’à leur tête, ils y étaient allés. Et puis, on m’avait appelée. On m’avait annoncé la mort de mon fiancé, tué par son meilleur ami. Je ne connaissais pas les circonstances et je m’en foutais pas mal, j’avais perdu mon amour, je détestais le parrain de ma fille. Mon monde s’était écroulé. Notre fille n’avait que six mois, elle n’avait pas à perdre son père ni même son parrain. Je n’avais pas à perdre l'amour de ma vie. Alors, non, je ne suis pas heureuse. Ça va faire trois ans mais je n’arrive pas à oublier, je n’arrive pas à me remettre, je n'arrive pas à écouter cet homme qui était sensé être notre ami me dire comment il avait tué mon fiancé. Pourtant, j'étais allée le voir une fois en prison, mais je n'avais pas réussi à l'écouter, je n'avais pas réussi à lui parler, nous nous étions simplement regardés, il avait pourtant essayé de me parler, mais je n'écoutais simplement pas. Je voulais juste le regarder dans les yeux et lui dire à quel point il avait détruit ma vie. Aller le voir m'avait détruite encore plus finalement. La seule chose qui me fait sourire aujourd’hui, c’est de voir la joie de vivre de Lucy, elle ressemble tellement à son père.

   ~ OÙ TE VOIS-TU DANS DIX ANS?
Je ne sais déjà pas comment je me vois demain alors dans dix ans. J’en sais absolument rien. J’espère avoir fait le deuil de Noah, j’espère avoir réussi à pardonner au parrain de ma fille. Et surtout j’espère que cette dernière deviendra une belle jeune femme, une jeune femme qui gardera la tête haute, qui saura venir me voir quand les autres se moqueront d’elle parce qu’elle n’a jamais eu de papa. J’espère que j’aurais ma propre boutique de fleurs. Oui, je suis fleuriste, j’ai toujours aimé la nature. Et puis, mon père n’avait pas assez d’argent pour me payer l’université alors… Dans dix ans, je crois que j’irais toujours sur la tombe de Noah pour lui parler, lui raconter mes journées, lui dire qu’il me manque, lui raconter comme sa fille est belle, douce et gentille, comme elle lui ressemble. Dis comme ça, on pourrait presque penser que, dans dix ans, je serais heureuse, ou plutôt, moins malheureuse. Mais je sais qu’au fond, j’aurais toujours cette tristesse en moi, cette amertume de ce futur avec Noah que je n’ai jamais eu. La vie est triste.

Pourquoi ça faisait toujours aussi mal ? C’était simple. J’étais triste. Malheureuse à en pleurer. Malheureuse à en crier. Malheureuse à en devenir folle. Il était comme mon havre de paix. Notre amour était une telle évidence. « Fais pas attention à elles, tu vaux mieux que ça. » Ca avait commencé aussi simplement que cela. Simple mais beau à la fois. J’avais relevé les yeux vers lui, son sourire m’avait hypnotisée. C’était donc ça le coup de foudre. C’était comme respirer, c’était comme regarder, c’était rapide et on s’en rendait à peine compte. En une seconde, je l’avais aimé. En une seconde, il était devenu indispensable. Ma moitié, mon âme sœur, mon essentiel. Noah, mon amour, comme tu me manques. Il avait conquis mon cœur aussi vite qu’il avait quitté ce monde. La malédiction s’abattait sur moi, je ne voyais que ça. Ma mère était morte en me mettant au monde. Erreur médicale. Mon père ne s’était jamais remis, il n’avait jamais connu une autre femme. L’important était que j’étais là. Il m’aimait tellement. J’étais sa petite fille, son ange. Il était si fier de me voir grandir, de me voir ressembler de plus en plus à maman. Seulement, il ne voyait pas ce que je vivais à l’école. J’étais la fille bizarre, la fille solitaire, la fille qui n’avait pas de maman. Tout ça, ça faisait mal. Je crois que Noah et moi étions faits pour être ensemble. Mon père lui avait sauvé la vie lorsque j’étais petite. Je n’avais que trois ans à ce moment-là. Un incendie. Un simple incendie et tout pouvait basculer. J’aurais pu devenir orpheline, j’avais failli à dire vrai. Papa avait passé deux mois dans le coma, deux mois que j’avais passé avec mes grands-parents. Mon père était un héros. Au début, j’étais intriguée que Noah s’intéresse à moi, il était riche, sportif et populaire, j’étais pauvre, intello et solitaire. Et puis j’avais compris. C’était lui. Lui, le petit garçon que mon père avait sauvé. Nos chemins devaient se croiser. Noah, pourquoi m’as-tu quittée alors ? On s’aimait tant. Il m’avait aimée si fort, si intensément. Tout comme je l’aimais. « Je veux que cette souillon sorte de notre maison. » La souillon, c’était moi. La souillon parce que j’avais le malheur de ne pas habiter dans une grande maison avec une femme de ménage pour faire mon lit. La souillon parce que mon père faisait tout son possible, accumulait deux boulots pour subvenir à nos besoins. Cette bonne femme se croyait tout permis. J’avais reculé, prête à partir. « Non, tu restes. » Sa main posée sur mon bras, je me sentais défaillir. Il me retenait. L’une de ses plus belles preuves d’amour. Noah, je t’aimais tellement à cet instant-là. Je n’étais pas restée. Lui non plus. Pour moi, il avait quitté sa belle maison. Pour moi, il avait renié sa famille. Pour moi, il était devenu pauvre. Et, finalement, pour moi, il était mort. Noah, mon amour, pardonne moi. Je m’en voulais tellement. Sans moi, il serait en vie. Sans moi, il serait toujours riche. « Sans toi, il serait malheureux. » Larmes qui roulaient sur mes joues. Je venais de le perdre. Maggie était là. Maggie était toujours là. Notre amour était indestructible. Jamais mon amour pour lui ne s’éteindra. Jamais. Il avait laissé sa trace dans ce monde. Lucy. Elle était née si vite, nous étions si jeunes, j'allais sur mes dix-neuf ans seulement. Mais nous la désirions tant. Ce n’était qu’une suite évidente à notre amour. Noah, nous nous aimions, tu n’aurais pas dû. Il n’avait pas l’habitude d’être pauvre, de vivre sur le fil, de vivre avec la peur au ventre de ne pas pouvoir finir les fins de mois. Il voulait mieux pour nous. Il voulait mieux pour sa fiancée et sa fille. Je n’avais pas réussi en l’en empêcher, mais lui aurait dû au lieu de l’encourager et l’aider. Tu étais son meilleur ami, tu étais le parrain de ma fille, j’avais confiance en toi. J’avais tort, il n’avait pas empêché Noah de commettre l’irréparable. Un braquage. Il voulait simplement qu’on ait plus d’argent. Il aurait du savoir que ça allait mal tourner. Ça avait mal tourné. Aujourd’hui, il n’était plus là, tué de la main de celui qu’il considérait comme un frère. C’était ironique puisqu’il aurait mis sa vie entre les mains de ce dernier, et c’était celui-là même qui l’avait tué. Balle perdue. Ou pas. Je n’en savais rien. Je ne voulais pas le savoir. Lui était là et l’homme que je n’aimais ne l’était plus. « Pour le chef d’accusation d’homicide involontaire : coupable. » C’était tombé. Il allait être condamné pour quelques années de prison. J’aurais dû me sentir soulagée, n’est-ce pas ? Il était puni pour son geste. Seulement, j’avais juste envie de crier, envie de pleurer, envie de frapper. Cette condamnation ne ramenait pas mon Noah. Rien ne pourrait jamais le ramener. Qu’allais-je bien pouvoir dire à Lucy quand elle me demanderait où est son père ? Comment pourrais-je lui avouer que c’était son propre parrain qui l’avait tué ? Noah, je t’en supplie, aide moi à trouver la force d’avancer. La force d’avancer, ce n’était pas Noah qui me la donnait, c’était notre fille, notre petit bout de fille qui grandissait. Il fallait que je sache ce qu’il s’était passé. Pour moi mais aussi et surtout pour Lucy, pour avoir des réponses à mes questions mais aussi à ses futures questions. Il fallait que j’aille le voir en prison, que je m’asseye en face de lui, que j’écoute ce que je n’avais pas voulu entendre de lui au procès. Je l’avais rencontrée devant la prison ; Koda. J’avais l’impression de me voir en elle. Comme si elle était un miroir me reflétant. Nous devions trouver la force d’entrer dans cette prison. Nous le devions. Et nous avions fini par le faire. C’était une erreur. Tout ça n’était que mensonge, je ne voulais toujours pas l’écouter, je ne voulais toujours pas rendre encore plus réelle la mort de Noah, je ne voulais pas connaître de détail sur sa mort. Ça m’était tout simplement insupportable. Noah, mon amour, tu me manques tellement. Koda était ressortie aussi vidée que moi. Nos vies n’avaient plus de sens. L’alcool allait nous en donner un. Heureusement que Lucy n’était pas là pour voir l’état de sa mère. J’avais honte, mais j’en avais besoin. Un verre, deux puis trois, quatre… Juste une soirée pour tout oublier. Juste une soirée pour se sentir… différente. Une soirée pour se perdre dans les bras d’une autre femme. Première expérience. Troublante. Intrigante. Passionnante. Terrifiante. Deux ans avaient passé depuis cette soirée. Deux ans de quasi-silence. Deux ans à me poser des questions. Aujourd’hui, j’étais toujours malheureuse. Malheureuse à en pleurer. Malheureuse à en crier. Malheureuse à en devenir folle. Noah, je t’aimerais toujours, tu étais mon âme sœur.