NOVEMBRE DEUX MILLE × « Il ne faut pas faire confiance aux garçons Heather, ce sont tous des salauds » Les yeux ronds, j’avais fixé ma mère.
« Mais maman, j’ai dix ans. » Elle avait soupiré avant de répondre
« Tu le verras bien assez tôt. » Ruth-Ann, ma mère, était la seule famille que j’avais. Elle était mon seul modèle… et quel modèle ! J’avais passé mon enfance à voir défiler des hommes dans la maison, me disant à chaque fois que
celui-là serait peut-être le bon, celui qui serait mon père. Mais la vérité était que je n’avais pas de père et que je n’en aurais jamais. Où était mon père ? Je n’en avais aucune idée, et chaque fois que je posais la question à ma mère, la seule réponse que j’avais était
« ne poses pas de question stupide, Heather chérie. » Je n’avais jamais supporté qu’elle m’affuble de ce ‘chérie’ à la suite de mon prénom, ça m’horripilait. J’avais tendance à être désagréable avec elle, mais il fallait dire qu’elle ne faisait pas tout pour me prouver que j’avais tort de la faire. Il était normal que je veuille savoir où était mon père, qui il était. Je ne portais même pas son nom, ce qui signifiait qu’il avait refusé de me reconnaître. Je soupçonnais ma mère de ne pas savoir elle-même qui il était. On ne pouvait pas me blâmer, je voyais de nouveaux gars débarquer tous les quatre matins, qu’est-ce qui me disait que mon père n’était pas un de ces hommes de passage ? Je savais que j’étais une gamine insupportable, assez peste sur les bords, mais j’avais besoin de connaître cette vérité qu’elle n’avait jamais voulu me dire. Il me manquait quelque chose. Était-ce vraiment si stupide de vouloir connaître la vérité ?
JUILLET DEUX MILLE DEUX × « C’est quoi ce chèque ? » Parfois, quand je rentrais de l’école, je prenais machinalement le courrier dans la boîte. Une enveloppe dont l’adresse était écrite à la main revenait régulièrement. Ma curiosité l’avait emporté et j’avais ouvert. J’y découvris un chèque. A ma question, ma mère avait pâli puis elle avait essayé de prendre un ton dur
« Heather, combien de fois t’ai-je répété… » J’avais fini sa phrase pour elle.
« De ne pas poser de questions idiotes… Dis-moi la vérité. S’il te plaît. » Mon ton me surprenait, c’était comme si je la suppliais. Elle avait soupiré. Cette fois, j’avais gagné. Elle s’assit et m’invita à s’installer à ses côtés.
« Ce chèque vient de ton père. » Mes sourcils se froncèrent.
« Qu’est-ce que tu veux dire ? » Cette fois, ma question était stupide, la réponse était bien trop évidente mais, au fond de moi, je n’avais pas envie de l’entendre. Je n’avais pas envie d’entendre que mon père n’avait pas voulu de moi et que tout ce que je méritais, tout ce que
nous méritions était un chèque tous les mois. Peu m’importait la somme de ce chèque, j’avais besoin d’un père. Ma mère m’expliqua alors toute son histoire, leur histoire.
« J’étais sa maîtresse, il avait une femme et une fille. Quand je suis tombée enceinte, je lui ai posé un ultimatum, soit il quittait sa femme, soit je racontais tout. Ton père avait une réputation à tenir. » Elle se tut quelques secondes, scrutant ma réaction mais je restais impassible.
« Il n’a pas voulu quitter sa femme mais il a dit qu’il enverrait de l’argent tous les mois. J’ai accepté. Ça m’a permis de pouvoir t’assumer financièrement. » J’eus un sourire amer.
« Il t’a achetée. Quel salaud ! » Une pointe de culpabilité s’insinua en moi. Dire que j’en voulais à ma mère de ne pas me dire la vérité. Ce n’était pas elle que je devais haïr, mais ce père dont je ne savais rien, qui avait une femme et une fille. Instantanément, je me mis à jalouser cette dernière. Je sentis la main de ma mère saisir la mienne, je la regardais enfin dans les yeux, et la prit dans mes bras.
« Je suis désolée maman. Je t’aime. » Je l’avais sentie essuyer une larme. C’était la première fois que je lui disais.
JANVIER DEUX MILLE NEUF × Je n’avais pas envie d’entendre parler de mon père, et encore moins de sa fille. Je les haïssais tous les deux. Lui pour m’avoir abandonnée, elle pour m’avoir volée l’enfance que
je devais avoir. Et puis, j’ai fini par la rechercher, je voulais la voir. J’étais intriguée sans doute. J’avais fini par la trouver. Chicago. Ça tombait bien, je venais d’obtenir mon diplôme. Je m’étais alors inscrite à l’université de Chicago, j’avais envie de tenter un cursus en écriture et création littéraire. Depuis toute petite, j’aimais écrire. Alors, pourquoi ne pas en faire mon métier ? Chicago était une grande ville, mais venant d’une grande ville, je m’étais vite habituée. J’avais attendu quatre mois avant d’aller la voir. J’avais conscience de faire un peu psychopathe mais avant ça, je la surveillais, je l’observais. Et, je l’avouais, j’hésitais. Avais-je vraiment envie de la rencontrer ? Je la détestais. Je peux vous jurer que je la détestais du plus profond de mon être, mais quelque chose me poussait vers elle.
« Je m’appelle Heather, j’suis ta demi-sœur. » Bizarrement, elle n’avait pas eu l’air surpris d’avoir une demi-sœur. Génial ! Notre père était un vrai salaud. Seulement, elle ne m’avait pas acceptée. Elle ne voulait pas de moi. Elle m’avait volé mon enfance, et elle refusait de me connaître alors que celle qui avait eu la belle vie entre nous, c’était elle, pas moi. Elle n’avait pas le droit de me jeter comme ça. Au final, je lui en voulais encore plus à présent. Je ne pouvais pas m’en empêcher. Soudain, cette ville me paraissait bien trop petite pour nous deux. J’avais envie de partir. Loin. L’occasion de réaliser mon rêve : aller en France. M’éloigner de tout, c’était nécessaire.
JUILLET DEUX MILLE NEUF × J’avais voulu terminer mon année à Chicago, je n’étais pas du genre à abandonner en plein milieu. J’avais beau m’amuser et faire comme si les études me passaient au-dessus, il ne fallait pas sous-estimer ma capacité à réussir. Quoi qu’il en soit, cette année m’avait moyennement plu, ce n’était pas ce à quoi je m’attendais. J’avais encore moins de regret en faisant ma valise.
« Tu es sûre que tu ne veux pas revenir à la maison, ma chérie ? » A l’autre bout du fil, ma mère était inquiète pour moi. Je lui manquais, ça lui avait fait bizarre de se retrouver seule. Elle me manquait aussi mais il fallait que je vive ma vie. La France était un rêve de gamine, qui plus est.
« Tu me manques aussi, m’man mais tu sais que c’est mon rêve. » Je le savais, elle souriait. Nous nous connaissions par cœur. Je ne pensais pas que nous pourrions devenir aussi proches elle et moi. Pourtant, c’était le cas.
« Je sais. » Elle avait dit cela dans un soupir alors j’étais en train de fermer ma valise.
« Je reviens aux États-Unis l’an prochain. » Avant de partir, je regardais mon petit studio avec nostalgie. Même si cette année n’avait pas été la plus belle de ma vie, j’avais quand même rencontré des personnes géniales, hommes comme femmes. Mais, je savais que je n’allais pas le regretter. Cela se confirma dès que je posais un pied sur le sol français, à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle. Paris, la ville des amoureux. C’était ce que nous allions voir. J’espérais surtout que ce serait la ville de mes rêves. L’amour ? Je n’y croyais pas, et je n’étais pas là pour ça. C’était parti pour une année complète. Que mon rêve devienne réalité !
AOÛT DEUX MIL DIX × La France était comme je l’avais rêvée. Magique ! J’avais fait des petits boulots pour réussir à vivre là-bas. L’un d’eux –celui que j’avais gardé le plus longtemps et jusqu’à la fin de mon voyage- était dans une école maternelle, je m’occupais de la garderie avec l’institutrice le soir jusqu’à ce que leurs parents viennent les récupérer. Ces gamins étaient adorables. N’allez pas vous faire d’idées, je ne voulais toujours pas me caser et encore moins avoir un enfant moi-même, je serais bien incapable de m’en occuper. Mais il m’avait donné une idée : je voulais apprendre le Français aux petits comme eux, chez moi, aux États-Unis. J’avais la ferme intention de me réinscrire à l’université à la rentrée prochaine. J’avais toujours aimé apprendre de nouvelles langues, je me demandais pourquoi je n’avais pas pensé à faire ce cursus plus tôt. Cette année m’avait changée. En bien ou en mal, je n’en savais rien. Mais je devais revoir Leyla, cette demi-sœur qui m’avait rejetée. Je la détestais toujours, mais je comptais bien la faire m’accepter. Direction Longside Creek, puisque j’avais découvert qu’elle y était depuis peu, où je m’étais, par conséquent, inscrite en langues étrangères à l’université.
« Salut. » Je crois que ça lui avait fait un choc de me revoir. Elle me prenait sans doute pour une véritable psychopathe mais je m’en fichais éperdument. Elle avait accepté de faire ma connaissance, grâce à son fiancé surtout. Fiancé que je trouvais très à mon goût. Leyla avait tout ce dont j’aurais pu avoir, tout ce qui aurait du être à moi. Et je n’allais pas vraiment laisser passer cela. Cependant, je l’avouais, elle pouvait se montrer… sympathique. Moi aussi, n’est-ce pas ?
SEPTEMBRE DEUX MIL DOUZE × Je vivais chez Leyla et Jamie depuis janvier deux mille onze. Je trouvais ça plutôt amusant, ils me laissaient relativement vivre tranquillement. J’essayais de séduire Jamie, ne manquant pas une occasion de me balader en maillot de bain, ou en sous-vêtements quand je savais qu’il n’y avait que lui à la maison. C’était vraiment drôle de le voir rougir en me voyant. Bien sûr, il aimait tellement sa chère Leyla qu’il n’aurait jamais fait un faux pas, surtout avec la demi-sœur un peu folle. Tant pis, j’avais Maggie. Ah, Margaret, elle était rapidement devenue ma meilleure amie.
« Prête à t’amuser ? » C’était notre question principale. Inutile de dire que nous étions toujours prêtes à nous amuser, tout en suivant correctement nos études. Ma troisième année me tendait les bras. Même si j’étais bien installée chez ma demi-sœur et son fiancé, je n’avais pas pu refuser la demande de colocation de Maggie. Nous habitions donc toutes les deux à Lombard Lane. Cette fille, je la considérais bien plus comme ma sœur que Leyla. Bien que mes relations avec cette dernière se soient tout de même améliorées, je ne pouvais m’empêcher d’en être jalouse, de penser qu’elle avait eu un père et pas moi.
« Je crois que tu es psychologiquement dérangée. » J’avais ri. Je connaissais ce gars depuis quoi, dix minutes et il me jugeait. Trop mignon.
« Merci, t’es pas trop mal non plus. » Au final, il s’en fichait que je sois
psychologiquement dérangée, ça ne nous a pas empêchés de nous amuser. Et s'amuser, n'était-ce pas tout ce qui comptait au final ? Profiter de la vie, profiter de sa jeunesse. Soyons jeunes, nom de Dieu !
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