Aujourd’hui, j’avais ressenti le besoin de tout écrire. Aujourd’hui, j’avais ressenti le besoin d’écrire ma vie noir sur blanc. Alors, en me levant ce matin, j’avais la ferme intention de rentrer chez moi le soir en ayant acheté un carnet vierge. Et c’était ce que j’avais fait. Je venais de rentrer chez moi, carnet et stylo tout neufs en main, prête à écrire. Parce que j’avais beaucoup entendu l’expression ‘les écrits restent, les paroles s’envolent’. Je n’avais pas envie que ma vie s’envole, je ne voulais rien oublier, rien omettre. Je voulais écrire, tout simplement, écrire tout ce que j’avais ressenti durant toute la première partie de ma vie. C’était ainsi que je m’étais assise à mon bureau dans ma belle mais grande maison de Seymour Street et que j’avais écrit durant des heures. Quand j’eus enfin fini, je relus ce petit carnet, déjà bien rempli. Je lus cette histoire, ma propre histoire. C'était le meilleur moyen pour que je me rende compte tout ce que j'avais vécu, pour que je me remémore les bons comme les mauvais moments. J'avais été étonnée de voir à quel point tous mes souvenirs m'étaient revenus si facilement. Comme si mon histoire ne s'étalait pas sur vingt-six ans mais sur seulement quelques mois. Finalement, ce n'était que maintenant que je me rendais compte que le temps passait à une vitesse extraordinaire et qu'il fallait que j'en profite tant que j'en avais encore le temps. Enfin, c'était aussi ce qu'on se disait tous, qu'on avait encore le temps, beaucoup de temps, alors que parfois il suffisait d'une seule erreur, un petit grain sable dans les rouages pour que tout déraille et que tout se finisse. N'importe quoi pouvait tout chambouler. Il me semblait que c'était aussi pour ça qu'aujourd'hui, ce soir, j'avais décidé de retracer ma vie, comme une sorte de bilan. Et je n'avais pas simplement besoin de l'écrire, je devais aussi la lire. C'était ma vie, pas celle d'un étranger. Je m'attendais à pleurer lorsque j'aurais fini ma lecture. J'étais seule dans cette maison, après tout, alors je pouvais me laisser aller. Quoi qu'il en soit, il était grand temps de lire à présent.
Vanya Aleksandra Blake. Née le vingt-deux avril mil neuf cent quatre-vingt-six à Fort Worth, dans l’état du Texas, aux Etats-Unis d’Amérique. A dire vrai, j’avais d’autres prénoms, mais ces deux ci étaient les plus importants dirons-nous. Mes prénoms d’origine slovène me venaient de ma mère, Mariska Katarina Ivanež, tandis que mon nom de famille était purement américain, me venant, bien évidemment, de mon père, Clifford Bartholomew Blake. Aussi loin que je me souvenais, mes parents avaient toujours été heureux ensemble. Depuis mon plus jeune âge, je me disais que plus tard, je voudrais un couple comme le leur, uni comme jamais, ne connaissant que très peu de disputes. J’avais admiré leur amour toute ma vie. Et Dieu seul savait à quel point ils m’aimaient aussi. Mon père m’appelait sa
petite princesse on encore son
petit ange. Il n’était pas souvent là, il était très pris par son métier de chirurgien. Il était un grand chirurgien, il était mon modèle. Quant à ma mère, elle était toujours à la maison, et j’adorais ça parce qu’elle était une mère formidable, et elle mettait un point d’honneur à m’apprendre à parler la langue slovène parce qu’elle ne voulait que renier cette partie de mes origines.
« La Slovénie fait autant partie de toi que l’Amérique, Vanya, ne l’oublie pas. » Elle m’avait dit cela à moitié en Slovène, à moitié en Anglais. Je ne l’avais jamais oublié. La Slovénie faisait partie de mes rêves, je n’y étais jamais allée, mais j’en rêvais. Un jour, j’irais. J’étais prête, je parlais couramment le Slovène. En fait, je le parlais aussi bien que l’Anglais.
« Pourquoi j’ai pas de petite sœur ou de petit frère, moi ? » J’avais sept ans quand j’avais posé cette question à ma mère. Tout le monde à l’école avait une petite sœur ou un petit frère, mais pas moi. A cela, Mariska m’avait très justement répondu
« Tu n’as ni frère ni sœur, mais tu as bien mieux, tu as Aleška. » Cette dernière était une de mes cousines mais nous nous ressemblions comme des sœurs, et nous étions vraiment très proches l’une de l’autre. . A ce moment-là, je n’avais pas fait attention à cet air triste que ma mère avait eu dans les yeux en me disant cela. J’étais sans doute trop jeune pour le voir et surtout pour le comprendre.
Et puis, ce qui ne me posait pas de problèmes étant petite me posait des problèmes en grandissant. Quoi, par exemple ? Et bien, ma mère. Je détestais voir à quel point elle ne s’intégrait pas au pays. Je ne la comprenais pas, c’était devenu son pays aussi avec le temps. C’était le pays de sa fille. Et pourtant, elle avait grand mal à parler Anglais, comme si ça lui paraissait un défi impossible. Alors, parfois, elle subissait les moqueries de mes camarades de classe. Aujourd’hui, j’avais du mal à l’avouer mais les faits étaient là et bien réels : j’avais honte de ma propre mère. J’avais même refusé qu’elle vienne me chercher au collège. Le collège, tiens parlons-en. Inutile de mentir, j’étais une excellente élève. En fait, je donnais tout pour avoir ces résultats-là, j’avais déjà de l’ambition. Soit on en avait, soit on n’en avait pas. Et moi ? Moi, je n’en manquais pas. Je voulais suivre les traces de mon père, et devenir une grande chirurgienne. Alors, je travaillais. Et, je le savais, il était fier de moi, il me le répétait souvent. Je me souviens parfaitement de son énorme sourire quand je lui avais dit que si je travaillais autant, c’était pour devenir comme lui. Il avait été heureux mais il m’avait aussi dit
« Vanya, mon ange, je suis fier de toi, mais… » Quand il avait prononcé ce
mais, j’avais eu peur, j’avais même retenu mon souffle.
« N’oublies pas de vivre, tu es jolie, et gentille, plein de vie. Profites aussi de la vie. » Et il m’avait fait un clin d’œil alors que j’avais du mal à comprendre de quoi il parlait. Et puis, en reportant cette phrase à Aleška, elle avait ri en me disant
« Idiote, il te dit de regarder un peu plus les garçons » Après réflexion, c’était plutôt logique, je n’avais pas des milliers d’amis mais je n’en manquais tout de même pas alors c’était la seule possibilité qu’il restait. Mais je n’avais que quinze ans, j’allais entrer au lycée, il était bien trop tôt pour que je m’y intéresse, n’est-ce pas ?
« Vanya Blake, on se retrouve, depuis le temps que j’attendais ! » Je le sentais, j’avais immédiatement froncé les sourcils et, pourtant, je n’avais pas pu retenir un sourire. Sans doute parce que j’étais comme ça, je souriais. Je me tournais vers le jeune homme qui avait parlé. J’étais en dernière année au lycée, et lui, il avait l’air d’être un première année.
« Excuse moi, mais… on se connait ? » Apparemment oui, sinon il ne connaîtrait pas mon prénom, je n’étais pas si populaire que ça au lycée de Fort Worth, je ne faisais partie d’aucune association, je ne faisais pas partie des pom-pom girls ou de quoi que ce soit de ce genre. J’étais simplement connue pour être Vanya Blake, la mi- Américaine mi- Slovène constamment avec sa cousine et quelques amies, constamment en train de rire, et aussi constamment en train de travailler. Mais, croyez-moi, ce n’était pas le genre d’informations qui tournaient en boucle dans les couloirs du lycée, ce n’était pas des ragots vraiment intéressants. Revenons-en au jeune homme. Il avait simplement esquissé un sourire.
« Tu ne t’en souviens sans doute pas, après tout, tu as quatre ans de plus. » Oui, nous avions quatre ans de plus. Ce cher jeune homme avait sans doute sauté une classe, et il se retrouvait donc en première année. Mais, ça ne me disait pas qui il était. Devant mon air d’incompréhension, il avait continué.
« Damian Breznik. » Breznik, une lumière ‘Slovénie’ s’était mise à clignoter dans ma tête, et je sentis mon sourire s’étirer.
« Tu te souviens maintenant ? » A dire vrai… Non. Je ne pus m’empêcher de rire avant de lui répondre.
« Absolument pas. Mais tu es Slovène ! » Je suis sûre qu’à cet instant, il m’avait prise pour une folle. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un d’autre d’origine Slovène, alors mon cœur bondissait dans ma poitrine. Sans parler du fait qu’il était vraiment très mignon. J’avais cru qu’il fuirait mais il avait ri lui aussi.
« Effectivement. » Je lui avais tout de même demandé où nous nous étions rencontrés auparavant. A une fête d’école. Il m’avait raconté qu’il était venu à cette fête parce que son grand frère, qui avait le même âge que moi, y participait et que nous nous étions disputés un prix. Il m’avait raconté à quel point j’avais tenu à ce qu’il avoue que c’était moi qui avais gagné. Pendant toute la durée de cette histoire, je n’avais pas pu m’empêcher d’arrêter de rire, je me souvenais parfaitement de cette histoire de lot. Et j’avais finalement réussi à obtenir gain de cause. Damian me disait qu’il m’avait trouvé si jolie, du haut de ses dix ans, même si il m’avait bien évidemment traité de peste et de fille à son papa. Entre nous, c’est là que tout a commencé. Nous ne nous sommes plus quittés.
« Vanya, le cœur de ta mère n’a pas tenu, elle a fait une crise cardiaque » C’était quelques mois après que j’étais rentrée du lycée et que mon père, complètement affolé, m’avait annoncé le décès de ma mère. Mariska avait une malformation cardiaque. C’était d’ailleurs en grande partie pour cela qu’elle restait à la maison, qu’elle ne travaillait pas, pour ne pas trop la fatiguer. J’avais dix-huit ans, il était bien trop tôt pour que je la perde. Je n’avais même pas eu le temps de lui raconter que j’étais tombée amoureuse. J’avais tellement espéré qu’elle rencontre Damian, un pur Slovène, comme elle. Je n’avais pas pu rester à la maison, j’avais couru jusque chez lui. Et couru était le terme exact, heureusement qu’il n’habitait pas très loin. Les larmes aux yeux, il m’avait de suite accueilli dans ses bras.
« Ma mère est morte. » Soudain, je me rendais compte à quel point j’avais pu être dure avec elle. Je ne lui avais jamais dit comme je l’aimais. Jamais. Et, maintenant qu’elle était partie, je m’en voulais beaucoup. Elle ne méritait pas ça. Damian était resté près de moi jusqu’à ce que je me décide à sécher mes larmes et à rentrer chez moi, pour rejoindre mon père. Et puis, j’avais découvert une lettre de ma mère. Une lettre qui m’était personnellement adressée. Seulement, je n'avais pas eu le courage de la lire de suite. Je ne la recopierais pas ici, puisque je l’ai conservée, je l’agraferais simplement. Cette lettre, je l’avais lu quelques jours plus tard. Son contenu m’avait complètement surprise. Dedans, ma mère me racontait qu’elle avait eu un bébé il y avait de cela presque trente-trois. Un petit garçon qu’elle avait dû abandonné dans un orphelinat de Bâton-Rouge en Louisiane. Dedans, elle m’expliquait que je m’appelais Vanya parce que cet enfant, elle avait souhaité l’appeler Vitaly, commençant par un V. Elle disait aussi que, quand je me sentirais prête, elle souhaitait que j’ai le courage qu’elle n’avait jamais eu : celui de le retrouver. Ce jour-là, je devrais lui remettre une lettre.
Pendant plusieurs semaines, je ne sus quoi faire de cette lettre. J’apprenais soudain que j’avais un demi-frère, c’était énorme. Ça chamboulait toute ma vie. Surtout que je venais d’entrer en faculté de médecine, je ne pouvais pas louper ma première année, c’était celle qui serait décisive. Mon père m’avait toujours dit que si je réussissais ma première année, alors les autres couleraient de source. D’ailleurs, j’avais décidé de ne pas lui parler de Vitaly. Je ne saurais expliquer pourquoi, mais j’avais l’impression que si ma mère lui avait caché, c’était pour une bonne raison, et si elle le disait à moi aujourd’hui, c’était également pour une raison qui lui était propre. Quant à Damian, je lui en avais parlé parce qu’il fallait que j’en parle à quelqu’un, et il essayait subtilement de me pousser à recherche ce demi-frère. Je ne savais trop pourquoi. Avec son soutien, j’avais fini par entamer des recherches concernant Vitaly. J’avais mis plusieurs années à retrouver sa trace. Je l’expliquais par le fait que je me dévouais beaucoup à mes études. Et aussi à Damian, avec qui je m’étais fiancée lors de nos six ans ensemble, c’est-à-dire il y avait maintenant deux ans aujourd’hui. Nous voulions tous les deux nous marier mais nous voulions attendre la fin des études de Damian. Et puis, un jour…
« J’ai trouvé : Vitaly Joaquim Harper, à Longside Creek, en Caroline du Sud. » J’avais enfin retrouvé sa trace. Enfin ! Aleška m’avait regardé, tout sourire.
« Il faut qu’on y aille ! » On ? Si je comprenais ce qu’elle essayait de me dire, c’était qu’elle voulait venir avec moi à Longside Creek. J’avais moi-même souri, et je l’avais prise dans mes bras.
« Allons à Longside Creek alors ! » J’étais prête à y aller. Même si c’était sûrement un coup de tête quand on y réfléchissait bien. Mais j’avais surtout que j’avais découvert qu’il était médecin, titulaire en pédiatrie qui plus est, et je comptais bien faire en sorte de me retrouver dans son service. J’étais plus qu’heureuse qu’ Aleška veuille spontanément venir avec moi, mais j’avais peur de la réaction de Damian. Il aimait Fort Worth, et il avait beaucoup déménagé étant petit, alors peut-être ne voudrait-il pas partir, encore une fois. « Bien sûr que je viens, quelle question ! Je viens de finir mes études en plus. » Le soulagement, voilà ce que j’avais éprouvé en entendant sa réponse. Mais le plus dur restait à venir : dire à mon père que je partais sans lui expliquer la vraie raison. J’avais finalement fini par lui dire que j’avais vu que Longside Creek avait un excellent hôpital, et que Aleška, Damian et moi avions envie de bouger, et que nous avions découvert cette ville par hasard et qu’elle nous semblait fabuleuse pour démarrer une nouvelle vie. Il n’avait pas très bien compris pourquoi nous voulions aller si loin mais il avait accepté. Il m’avait même payé cette grande maison, à la simple condition que je réussissais à devenir la chirurgienne que je rêvais d’être et aussi que je finisse par épouser Damian. Je crois que mon père l’adorait autant qu’il m’adorait moi. Tant mieux, j’avais emménagé ici avec l’homme que j’aimais mais aussi avec ma meilleure amie. J’avais (presque) la vie dont je rêvais. Il me fallait maintenant en savoir plus sur Vitaly.
Cela faisait un peu plus d’un mois que j’avais intégré le service de Vitaly. Cet homme était indéniablement quelqu’un de très secret. Il était vraiment gentil, et m’apprenait le métier avec beaucoup de passion même si il me répétait sans cesse que je m’impliquais beaucoup trop émotionnellement. J’avais appris, depuis le début de mon internat, qu’au final, un hôpital, c’était comme un lycée, il y avait des bruits de couloir. Ainsi, j’avais appris qu’il avait perdu sa femme dans un ouragan, ou encore qu’on lui prêtait une relation avec une résidente, une certaine Allyson. Autant je savais que la première information était vraie, autant j’avais des doutes sur la seconde. Je les avais vus ensemble quelque fois, mais je voyais une grande amitié, je n’avais pas l’impression de voir deux amoureux, ils n’avaient pas ces regards amoureux, comme Damian et moi pouvions les avoir. Finalement, je ne savais toujours pas vers quelle spécialité me tourner, mais je ne savais pas non plus comment parler de Mariska à Vitaly, et surtout si j’allais lui en parler. Je commençais à douter de ce qui m’avait motivé à venir ici. Cependant, je restais moi-même, et je m’épanouissais dans cette ville, je commençais à beaucoup l’aimer et à me sentir chez moi. Tout comme Aleška et Damian d’ailleurs.
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