« Tu sais que tu peux être vraiment prétentieux parfois » tonna une voix familière qui n'était autre que celle de sa sœur, Elizabeth. Jordan n'avait que dix-sept ans pourtant, qu'est-ce qu'il pouvait être arrogant, et ce depuis l'enfance. Beth, de deux ans sa cadette, avait l'habitude de lui envoyer de genre de phrase. Pour lui, ça faisait pratiquement partie du décor maintenant, il savait que leurs parents seraient de son côté quoi qu'il arrive. Voilà d'où venait sa prétention sans aucun doute. Il était le fils, l'ainé, le petit préféré tandis que sa sœur était la petite sœur, celle qui devait bien sagement écouter et attendre.
« Qu'est-ce que j'ai fait encore, petite soeur ? » Feindre l'innocence ! Un bon moyen d'énerver Beth, et, évidemment, il le faisait avec un sourire grand jusqu'aux oreilles.
« Tu sais très bien de quoi je parle, Jordan ! Laisse Vitaly tranquille ! » C'était donc ça aujourd'hui. Vitaly, son petit-ami. Jordan le détestait déjà quand il est entré dans l'équipe de base-ball. Premièrement, il venait d'un milieu totalement opposé au sien, et deuxième, il était aussi bon que le capitaine de l'équipe qui n'était autre que Jordan. De surcroît, Vitaly voulait devenir joueur pro alors que le jeune homme, lui, ne savait pas ce qu'il ferait. Il profitait de sa popularité pour le moment. Le cliché du mec populaire. Beau, sportif, pas aussi bête qu'on le croit, toutes les filles se pavanaient devant lui. Enfin, vous voyez le genre ! Revenons-en à Vitaly. Entre eux, c'était la guerre, une guerre bien alimentée par Jordan qui faisait tout pour lui mettre des bâtons dans les roues. Mais, le pire pour Jordan, ce fut quand sa petite sœur et Vitaly commencèrent à sortir ensemble. Beth n'aimait guère la façon dont son frère traitait son petit-ami, ce qui renforça un peu plus leur relation conflictuelle qui était déjà bien présente à cause de la différence que mettaient entre eux leurs parents. Et puis, Jordan en profitait pour monter ses parents contre le jeune homme.
« Choisis Elizabeth, c'est ta famille ou lui » Et voilà, l'ultimatum était tombé ! Cela faisait un moment que cela pesait au-dessus de la tête de sa petite sœur, et Jordan était resté spectateur de cette scène. Devant ses parents, il restait neutre. Mais, il l'avouait sans mal, lorsque sa sœur avait répondu fermement
« Très bien, mon choix est fait ! » en claquant la porte, elle l'avait impressionné. Il admirait le courage dont elle avait fait preuve ce jour-là. Ce courage qui lui faisait cruellement défaut à cette époque. Pourtant, ce courage il le trouve trois ans après le début de ses études de droit. Études qu'il avait choisi plus par défaut que par réelle envie.
« J'ai décidé d'entrer dans la police » Lorsqu'il annonça cela à ses parents, ce fut un choc pour eux mais, pour une fois, Jordan avait décidé de faire comme sa jeune sœur, c'est-à-dire imposer ses choix. Il s'attendait à une réaction excessive comme celle qu'ils avaient eu avec Beth mais... Non ! Il restait l'inconditionnel préféré. Le fils prodigue en quelque sorte. Et, entré dans la police, il se sentait à sa place, réalisant qu'il avait eu raison de se moquer de l'avis de ses parents. Par contre, il fut vraiment content lorsque Beth lui avoua qu'elle était fière de lui, fière de ce qu'il était devenu.
« Tu n'es plus le petit con que tu étais, grand frère ! » lui avait-elle lancé un jour. En fait, depuis le départ de la jeune femme à San Francisco avec Vitaly, elle et son petit frère s'étaient beaucoup rapprochés, se téléphonant souvent. Tous deux étaient épanouis et ils ne le devaient qu'à eux-même et pas grâce aux idéaux de leurs parents, à qui ils ne parlaient presque plus soit dit en passant.
« On va se marier ! » Jordan était sous le choc de cette annonce. Bien sûr, la petite guéguerre entre Vitaly et lui s'était terminée après leur départ, mais on ne pouvait pas dire qu'ils étaient devenus de grands amis. Alors, il y a cinq ans, quand Beth revint pour annoncer son mariage imminent, Jordan eut un choc. Évidemment, il se doutait que cela arriverait et il était plus qu'heureux si sa petite sœur était heureuse. Mais, pour le plus grand bonheur de Beth, son petit frère avait bien mûri et il profita du mariage pour enterre définitivement la hache de guerre avec Vitaly. Contrairement à leurs parents qui restaient sur leur position quoi que les deux frère et sœur pouvaient bien dire. Mais ça n'empêcha pas les deux tourtereaux de se marier. Cependant, tout le monde sait que la roue tourne et que le bonheur peut parfois être de courte durée. Un mois pour être exacte dans leur cas. Vous vous souvenez de cet ouragan ? L'ouragan Katrina ? Jordan, lui, n'est pas près de l'oublier car il n'oubliera jamais ce qu'il a ressenti lorsqu'il a vu écrit noir sur blanc « Elizabeth Harper » sur la liste des cent trente-quatre disparus... Un sentiment de rage. Il ne pouvait pas y croire. Depuis quelques années déjà, il la considérait comme sa seule véritable famille, ne parlant plus à ses parents. Et ce satané ouragan lui avait enlevé sa petite sœur. Il passa aussi par une phase de culpabilité où il se disait qu'il se devait de la protéger, qu'il aurait du la protéger mais qu'il n'avait pas été un bon frère. Le seul moyen qu'il trouva pour essayer de surmonter cette perte était de plonger dans le travail. Il ne vivait que pour le travail. Certes, il était bon dans ce qu'il faisait mais cela devenait obsessionnel. Et, cela ne pouvait plus durer. Ce fut après une violente dispute avec un suspect que son chef vint lui dire de prendre du recul. Le jeune homme ne prit pas seulement du recul, il envoya tout plaquer. Il démissionna, il rompit avec sa seule relation sérieuse depuis le lycée pour qui il éprouvait beaucoup d'affection mais qui n'arrivait plus à le comprendre. Oh, et déjà qu'il ne parlait presque plus à ses parents, il coupa définitivement les ponts avec eux. Il avait décidé de repartir de zéro, et pour lui c'était le seul moyen d'y arriver.
Sri Lanka. Le jeune homme savait que quelqu'un encaissait encore plus mal la perte de Beth que lui. Ce quelqu'un n'était autre que Vitaly, son beau-frère. Jordan avait décidé de l'aider à remonter la pente, il savait que tous les deux il pouvait le faire. Et c'était au Sri Lanka qu'il le retrouva, lancé dans une nouvelle mission humanitaire.
« Aller, viens, on rentre » lui avait-il dit une fois qu'il l'eut retrouvé. Bien sûr, Vitaly n'avait pas accepté de suite mais l'ancien policier était prêt à le ramener par la peau du cou si il le fallait.
« Et où on va ? » Quelle question ! Jordan eut un petit sourire
« Longside. Tu as une maison là-bas à ce qu'il paraît & moi, je vais en acheter une » Et dire que c'était il y a deux ans. Vitaly n'avait pas émis d'objection, il avait récemment hérité d'une maison dans cette ville.
Finalement, ce nouveau départ fut la naissance d'une belle amitié entre eux. Leur lien fut renforcé et ils se faisaient entièrement confiance après cela. Ils se soutenaient, comprenant ce que l'autre pouvait ressentir. Revenir à Longside ensemble leur permettait de repartir de zéro tous les deux, tournant la page sans pour autant oublier la femme qui faisait que leur vie était bien meilleure.
« Me voilà de nouveau inspecteur de police, mon cher ! » Jordan avait été fier d'annoncer ça à son ami. Il lui fallait retrouver ce qui lui permettait d'avancer autrefois. Il avait lui-même choisi ce métier et il se plaisait toujours autant à l'exercer. Mais, à présent, il vivait le présent, il prenait les événements tels qu'ils lui venaient, sans se soucier du futur. C'était sans doute pour cela qu'il n'a jamais vécu d'autres relations sérieuses mise à part celle qu'il vivait il y a deux et qu'il avait cessé du jour au lendemain. Il n'avait jamais donné de nouvelles à cette jeune femme. Il préférait tout bonnement ne pas y penser, mettant cela dans le passé une bonne fois pour toute. C'est ce dont il avait besoin, laisser le passé derrière lui.
Jordan se réveilla en sursaut, toujours installé dans son sofa, la télévision encore allumée. Tous ces souvenirs remontant à la surface l'empêchaient de dormir correctement de temps à autre. Il jeta un œil sur l'horloge qui indiquait six heures du matin. Il savait parfaitement qu'il n'arriverait pas à se rendormir avant de filer au boulot alors il se frotta les yeux avant de se lever afin d'aller se faire un café. Ah, le café ! Le jeune homme de trente-deux ans ne pouvait s'en passer. Il pouvait en boire des litres. Soit, un bon café chaud, une bonne douche, les souvenirs dans un coin de sa tête et il serait d'attaque pour une nouvelle journée ! Retour au présent. Le présent, comme sa relation avec Caleigh. Il l'aimait beaucoup, et se posait beaucoup de questions quant à leur relation, mais lorsqu'ils étaient ensemble, toutes ces questions s'envolaient et il ne pensait plus qu'à passer le temps avec elle. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas ressenti ça avec une femme.