QUATORZE MAI DEUX MIL TROIS → « Mademoiselle Lasheras. » Je regardais le directeur de ma ‘prestigieuse’ école privée. Il avait l’œil sévère. Je me foutais complètement de ce qu’il me disait. Je n’avais pas envie d’être dans sa stupide école. Je ne voulais pas d’une école privée moi. Je voulais aller dans une école publique, comme tous les gens normaux. Passer pour une fille friquée, ça, il n’en était pas question.
« Nous ne pouvons tolérer un tel comportement dans une école telle que la nôtre. Je vois que vous n’avez aucun scrupule. Nous n’avons pas le choix. » Très bien. Il allait me virer. Je savais que j’aurais dû me sentir coupable mais ce n’était pas le cas. Cette fille s’était moquée de moi. Elle avait mérité que je la gifle. La réputation de cet établissement ne pouvait admettre d’avoir une délinquante telle que moi. C’était totalement ridicule. Je ne l’avais pas tuée non plus, je l’avais simplement un peu bousculée. Bon d’accord, giflée et un peu bousculée. C’était une peste de toute manière.
« Vous n’avez rien à répondre, jeune fille ? » Il me fixait avec cet air sévère sensé me faire peur. La vérité était que je retenais mon rire. J’avais finalement réussi à répondre.
« Non, monsieur. » Je me moquais un peu de lui, je n’y pouvais rien, il essayait de se donner l’air méchant et ça ne fonctionnait pas du tout sur moi. Je n’avais pas peur de lui. Le seul qui réussissait à me faire était Ezéchiel, l’un de mes grands frères. Je ne savais pas pourquoi. Ce n’était pas toujours l’entente entre nous, il était beaucoup trop sérieux pour moi. Mais il était aussi mon meilleur ami. Je l’écoutais. Enfin, parfois… Je pensais que c’était lui qui viendrait me chercher à cette stupide école qui venait de me virer, mais finalement ce fut ma mère que j’avais vu arriver. Oula, j’allais passer un sale quart d’heure. Elle aussi allait prendre son air sévère dans l’espoir que je l’écoute.
« Quel exemple tu donnes à ta petite sœur ! » Elle n’avait pas mis longtemps. J’étais à peine monté dans la voiture. J’avais soupiré. Comme si elle prenait exemple sur moi.
« On a quatre frères ! Elle est pas obligée de prendre exemple sur moi. » Oui, je savais que j’étais puérile. Ma petite sœur prenait forcément exemple sur moi, j’étais la seule fille dans cette famille. Elle n’allait pas prendre exemple sur maman, ce n’était qu’une petite fille.
« Cette école nous a coûté chère. » Ma réponse avait été immédiate et sans appel.
« J’m’en fous de votre argent. J’voulais pas de cette école moi. » Silence. Elle ne m’avait plus parlé de tout le trajet. Je savais qu’ils allaient me replacer dans une école de ce type. Je savais aussi que je n’allais pas changer.
▲ ▲ ▲ ▲AOÛT DEUX MIL CINQ → « Micah, je dois partir maintenant. Mais je reviens dans un an, je te le promets. Tu m'écriras, on se parlera sur internet. Je ne t'oublierais pas. T'es ma petite sœur après tout. » Bien sûr qu’il allait m’oublier. Avec qui j’allais parler à présent ? Qui est-ce qui allait me faire rire comme lui ? Qui me prendrait dans ses bras pour me réconforter ? Tout ça, c’était lui qui le faisait jusqu’à maintenant. Ça n’allait plus être comme avant.
« Promis ? » J’étais comme une petite fille. J’étais une petite fille. Une petite fille dont le grand frère allait beaucoup manquer. Cependant, je ne pleurais pas, je ne pleurais jamais. C’était comme une sorte de carapace. Une carapace difficile à percer. Il n’y avait qu’Ezéchiel pour pouvoir voir au travers.
« C’est promis. » J’avais acquiescé. Je crois que c’était la première fois qu’on pouvait me voir réellement triste. Je l’avais regardé partir. Je lui avais dit au revoir d’un geste de la main. Après tout, il poursuivait son rêve. Moi aussi, j’avais des rêves. Et il ne m’empêcherait jamais de les poursuivre. Alors je n’avais aucun droit de l’empêcher. Un grand vide s’installa immédiatement. Le soir même, notre mère était venue me voir, elle s’était installée au pied de mon lit.
« Ça va, ma chérie ? » J’étais en train de lire. Je relevais à peine les yeux de mon bouquin.
« Très bien, pourquoi ? » Et voilà, ma mère essayait de me soutenir, mais j’avais remis ma carapace. Encore pire, je l’avais renforcée. Elle avait souri faiblement avant d’ajouter.
« Je sais que tu es forte et indépendante mais tu as le droit de lâcher prise de temps à autre. » J’avais souri à mon tour, sincèrement, pour la rassurer. Non, je n’allais pas lâcher prise, je n’allais pas pleurer dans ses bras mais je ne pouvais pas faire comme si elle n’avait rien dit, je ne pouvais pas rejeter sa gentillesse. Nos parents nous aimaient, il n’y avait aucun doute là-dessus. Ils m’aimaient malgré les déceptions que je leur apportais. J’avais simplement soif d’indépendance. Mais je les aimais aussi, au fond. Tout comme j’aimais Ezéchiel. Et il était parti. Oui, j’étais triste. Et, non, je n’allais pas le montrer. Alors j’avais simplement souri.
« Merci maman. J’y penserais. » Je savais que ça lui faisait plaisir que je réponde que j’y penserais même si elle savait tout aussi bien que moi que c’était déjà tout réfléchi. Elle avait quand même l’espoir que sa fille s’ouvre à elle. Nous étions si différentes.
« Mais ça va, je t’assure. » Elle avait tendrement caressé ma joue avant de repartir. Ça allait. Pas vraiment mais si je le répétais assez, je m’en convaincrais moi-même. Il revenait dans un an. Une seule petite année.
▲ ▲ ▲ ▲AOÛT DEUX MIL SIX → « Tu es revenu ! » Je crois que c’était la première fois que je montrais mes sentiments, la première fois que l’on voyait que j’étais véritablement heureuse. Pas que j’étais malheureuse en temps normal, j’avais toujours été une gamine souriante et pleine de vie. Il avait souri à son tour en me prenant dans ses bras.
« Bien sûr, petite sœur, je te l’avais promis, non ? » C’était vrai, il me l’avait promis. Et il avait tenu sa promesse. Il était de retour. J’avais besoin d’un moment seule avec lui, et sans doute qu’il devait le savoir, nous avions été faire un tour. Je lui avais tout raconté. Bien sûr, j’avais eu le droit à ses remontrances lorsque je lui avais parlé de mes mauvaises notes, ou de ma soi-disant mauvaise attitude. Peu m’importait, j’avais retrouvé mon grand frère.
« Je dois aller voir quelqu’un mais je reviens après. » C’était ce qu’il m’avait dit. En fait, en y réfléchissant, c’était la dernière phrase qu’il m’avait dite. Cette fois-ci, il n’était pas revenu. Jamais. Il était parti sans me dire au revoir. Pourquoi ? J’avais finalement l’impression de n’être plus rien pour lui. Immédiatement, quand j’avais compris qu’il avait quitté la ville sans rien dire, je lui en avais voulu. De toutes mes tripes. Je ressentais tellement de colère envers lui. Une colère que je ne soupçonnais même pas être capable de ressentir. Et pourtant…
« Micah, maintenant, tu arrêtes. » Ma mère criait. Cela faisait quelques semaines qu’Ezéchiel m’avait abandonnée. Oui, je le disais, il m’avait tout simplement abandonnée.
« Laisse moi tranquille ! » Moi aussi, je criais.
« Oh non, jeune fille, ça, ce n’est pas prêt d’arriver tant que tu ne reviendras pas dans le droit chemin. » Vous savez, mon insolence de l’époque ? Mon envie de ne rien faire ? De simplement me laisser aller ? Et bien, tout ça était toujours présent. Avec beaucoup plus d’intensité. J’étais constamment en colère, ça ne s’arrêtait jamais.
▲ ▲ ▲ ▲OCTOBRE DEUX MIL SEPT → « C’est la troisième école dont tu te fais renvoyer, qu’est-ce qu’on va faire de toi, Micah ? » Cette fois, maman ne criait pas. Je crois qu’elle était simplement découragée. A dire vrai, moi aussi. Je m’ennuyais, alors je faisais en sorte de m’amuser comme je le pouvais. Je n’avais pas envie de travailler en cours.
« C’est pas apprendre que 2 et 2 font 4 que j’vais faire ce que j’veux. » J’en avais rien à faire des maths. Moi, mon rêve, c’était faire de la cuisine. Mis à part ma chambre, la cuisine était le seul endroit de la maison où j’arrivais à faire le point sur ma vie, à me détendre. J’adorais ça. Ma mère avait soupiré. Même si mes parents me soutenaient dans mes rêves, ils tenaient à ce que j’ai de bonnes notes, et surtout un comportement correct. Je ne leur en voulais pas. Je n’y arrivais pas, tout simplement. Je ne le pouvais pas ou ne le voulais pas.
« Nous n’avons pas le choix. » Cette fois, mon père avait pris la parole d’un ton dur, tout en croisant les bras sur sa poitrine. Que voulait-il dire ? Je l’avais su dès la semaine suivante quand j’avais été contrainte de débarquer dans cet internat pour jeunes filles. Là-bas, tout était différent. C’était presque militaire. Je n’allais pas survivre, c’était sûr. Et j’avais compris bien vite que ce n’était pas le renvoi que je risquais chez eux mais bien pire. Il me fallait quelque chose pour tenir.
« Moi, c’est Célia. » Elle m’avait tendu la main avec un large sourire. Finalement, ce serait quelqu’un qui m’aiderait à tenir. Célia, elle était rapidement devenue essentielle à mon bien-être. Elle et moi faisions les quatre cent coups dans ce lycée, tout en restant correctes car nous savions ce qui nous attendait. Enfin… nous en avions tout de même pris des punitions abominables. Mais ça importait peu, nous étions ensemble. Mes sentiments pour elle me troublaient presque. Elle était ma meilleure amie, mais parfois lorsque nos mains se frôlaient, j’avais l’impression de plus. Je voulais plus. Je ne savais pas ce que ça signifiait. Et puis un soir, dans notre chambre.
« Tu te demandes pas comment ça fait d’embrasser une fille ? » Je l’avais regardé, les sourcils froncés. Elle lisait dans mes pensées, ou quoi ? Elle avait ri, de ce rire que j’adorais.
« J’veux dire, on est entourées de filles, c’est normal qu’on soit tentées, non ? » Oui, elle avait sans doute raison. A dire vrai, l’idée m’avait effleuré l’esprit lorsque je m’interrogeais sur mes sentiments pour elle. Je n’avais pas eu le temps de répondre qu’elle avait bondi sur ses pieds, et s’était dirigée vers moi avant de me déposer un baiser sur les lèvres. J’avais légèrement intensifié ce baiser. Et puis, ça avait été terminé. Nous n’en avions jamais reparlé.
▲ ▲ ▲ ▲VINGT-HUIT JUIN DEUX MIL SEPT → « Mon rêve, ce serait d’ouvrir un restaurant. » J’avais souri à Célia. Il était tard, nous étions installées sur la plage. J’avais finalement réussi, j’avais mon diplôme et j’allais intégrer l’école de cuisine dont je rêvais. Mon objectif était accessible. Célia aussi allait intégrer la même école que moi.
« On le fera ensemble ? » Mon sourire s’était élargi. Plutôt que de faire deux restaurants, autant en ouvrir qu’un seul toutes les deux.
« Bien sûr. Et j’aimerais y intégrer une boulangerie/pâtisserie. » Elle avait ri.
« Te moques pas de moi ! » J’avais dit cela en riant moi-même, et en lui tapant légèrement sur le bras.
« J’me moque pas, j’ai juste l’impression que tu lis dans mes pensées. » Elle avait pris ma main. Je l’avais serrée. Pour l’occasion, nous avions embarqué une bouteille de champagne. J’avais levé mon verre. Cependant je n’avais pas eu le temps de parler.
« Je lève mon verre à cette magnifique jeune femme. » Je m’étais retournée, intriguée. Il était là. Tout sourire. Il était beau. Mon cœur ne fit qu’un bond. Pendant une seconde, j’avais pensé que c’était parce que je ne voyais pas assez de garçon. Pourtant, lorsque j’avais serré sa main, je savais que ce n’était pas ça.
« Luis. » C’était donc ça un coup de foudre.
« Micah. » C’était comme si il n’y avait plus que nous deux.
« Et moi, c’est Célia. » Je revins soudain sur terre, et jetais un regard à ma meilleure amie. Je me demandais si son ton cachait de la jalousie. Nous avions fini la soirée avec ce beau Luis. En partant, il avait glissé son numéro de téléphone dans ma main et avait déposé un baiser sur ma joue. Je m’étais sentie rougir. Je ne rougissais pas.
« T’es toute rouge, idiote. » Célia avait éclaté de rire. Et elle m’avait imitée quand je m’étais présentée à Luis. Je lui avais tiré la langue. Nous n’étions que des gamines après tout. Une simple gamine amoureuse, voilà tout.
▲ ▲ ▲ ▲VINGT-DEUX JANVIER DEUX MIL NEUF → « J’suis enceinte. » Test de grossesse dans la main, je me répétais ça en boucle. Comment j’avais pu être aussi stupide ? Je l’avouais, j’avais tendance à zapper ma pilule de temps à autre. Je pensais que ça pouvait arriver qu’aux autres de tomber enceinte par erreur. Apparemment, j’étais comme les autres. Luis et moi vivions l’histoire parfaite. J’étais aux anges. J’étais persuadée que tout allait s’effondrer. Il ne cessait de me répéter que j’étais la femme de sa vie, qu’il allait m’épouser et me faire des enfants. Seulement, j’étais sûre qu’il ne pensait pas à commencer maintenant. De façon robotique, j’étais allée m’assoir sur mon lit et j’étais restée ainsi pendant des heures. Je venais d’entrer dans l’école de mes rêves, avec ma meilleure amie en plus. Je ne pouvais pas avoir un enfant. Ma main effleura machinalement mon ventre. D’un autre côté, je ne pouvais me résoudre à penser une seule seconde à tuer un être vivant. Je devais passer la soirée avec Luis, je lui dirais à ce moment-là. Oui, je n’avais pas le choix, il était le père, je devais lui dire.
« Luis, j’ai un truc à te dire. » Main dans la main, je m’étais jetée à l’eau. Durant tout le dîner, je n’avais pas trouvé le courage de lui dire. Il ne répondit rien, attendant sans doute que je parle.
« J’suis enceinte. Je… On va avoir un bébé. » J’eus un faible sourire. Finalement, prononcer le mot bébé avait fini de me convaincre de le garder. Mais Luis… Il lâcha immédiatement ma main.
« Non, tu vas avoir un bébé. Pas moi. » Je déglutis difficilement. Il avait bien insisté sur le
tu. Je sentis les larmes me monter aux yeux. Non, je les retins de toutes mes forces. Je ne pleurais pas. Jamais.
« Quoi ? Je croyais que tu voulais qu’on ait des enfants… » J’avais plus murmuré qu’autre chose.
« Pas tout de suite. J’suis trop jeune pour élever un enfant. Et si tu veux mon avis, tu l’es aussi. » J’avais baissé la tête quelques secondes. Lorsque je l’avais relevée, il était parti. Il m’avait simplement laissé en plan. J’avais marché seule, sans but précis. Enfin, mes pieds m’avaient emmenée directement chez Célia. En voyant ma tête, elle m’avait immédiatement prise dans ses bras. Et pour la première fois, je m’étais laissé aller dans les bras de quelqu’un.
« Tu vas le garder ? » Installées sur son lit, j’avais acquiescé d’un signe de tête tout en séchant mes dernières larmes. Elle avait attrapé ma main. Je savais que je pourrais compter sur elle.
▲ ▲ ▲ ▲VINGT JUIN DEUX MIL NEUF → « M’dame, j’crois que j’ai un problème. » Il fallait que ça arrive en plein examen. La poisse. J’avais si mal au ventre. J’en étais qu’à six mois et demi de grossesse, je ne pouvais pas accoucher maintenant.
« Qu’est-ce qu’il se passe, Micahel-Ana ? » C’était rare que les gens m’appellent par mon prénom complet, même les professeurs m’appelaient Micah en temps normal. Mais, elle, c’était une vraie peau de vache alors ça ne m’étonnait pas. Et puis, honnêtement, mon bébé me préoccupait plus à cet instant. Mon regard se tourna vers Célia, non loin de moi. Elle avait les yeux fixés sur moi. Ses yeux étaient emplis d’inquiétude. Elle aussi, elle savait que je ne devais pas accoucher avant deux mois et demi normalement.
« J’ai mal au ventre. » Je regardais à nouveau ma prof. Je le voyais dans son regard, elle ne me croyait, elle ne pensait pas que j’étais sérieuse.
« S’il vous plaît, c’est mon bébé. » Mon ton était presque suppliant, je me moquais que tout le monde me regarde. Tout ce qui importait était la santé de mon bébé, de ma fille.
« D’accord. » Elle avait dit cela dans un soupir. Je l’exaspérais. Tant mieux. Tant pis pour elle. Elle avait appelé une ambulance, et j’avais été emmenée à l’hôpital le plus proche. Quelques heures plus tard, je mettais au monde une magnifique petite fille.
« Est-ce que je peux aller voir ma fille ? » J’étais fatiguée mais j’avais tellement envie de la serrer dans mes bras. Le regard du médecin me fit peur. il avait ce visage compatissant qu’ont tous les médecins quand ils veulent vous annoncer une mauvaise nouvelle. J’avais vu ça à la télévision.
« Oui, vous pouvez la voir mais vous ne pourrez pas la prendre. Elle est très faible car elle est très prématurée. Elle doit rester en couveuse quelques temps. » Quelques temps. Si c’était mieux pour elle. Je voulais simplement qu’elle finisse par aller mieux. Au final, je n’avais pu la ramener à la maison que deux semaines plus tard. J’étais si heureuse même si mon appartement était minuscule. Ma Joana allait bien. Luis n’avait pas répondu à mon message lui annonçant la naissance de sa fille. Tant pis, j’avais Célia. Et ma famille.
▲ ▲ ▲ ▲HUIT JUILLET DEUX MIL DOUZE → « Micah, s’il te plaît, je veux faire partie de vos vies. » Je soupirais en fermant les yeux quelques secondes.
« Luis, ça fait déjà dix fois que tu me le dis. Jo a besoin d’un père, pas de belles paroles. » Cela faisait quelques semaines que Luis était revenu dans ma vie, il s’était découvert l’instinct paternel. Seulement, je n’étais pas prête à le faire revenir dans nos vies, et surtout dans celle de Joana, si ce n’était pas pour du long terme. Ma fille avait besoin d’un vrai père.
« Tu viens d’avoir ton diplôme, on va pouvoir réaliser notre rêve. Ne le laisse pas tout gâcher. » Célia avait raison, je n’avais pas le droit de le laisser gâcher nos vies. Il avait décampé quand je lui avais annoncé ma grossesse et maintenant il débarquait la bouche en cœur, trois ans après.
« Je sais pas, Lia. Il est le père de Jo. » Il n’était pas que ça, il était aussi mon premier véritable amour. Célia me comprenait. Je le savais.
« C’est d’accord, Luis. Mais au moindre faux pas, tu ne reverras jamais Joana, c’est compris ? » Il avait acquiescé, sourire aux lèvres. Quelques temps après, il m’avait prouvé qu’il pouvait être un bon père, mais aussi un bon petit-ami.
« Micah, j’ai fait des erreurs, j’en suis conscient mais je t’aime. Veux-tu devenir ma femme ? » Je ne pensais pas qu’on pouvait être aussi heureux. J’avais une famille. Je touchais mon rêve du bout des doigts. Finalement, j’avais réussi.
« Oui. » J’étais tellement émue que j’avais eu du mal à le dire ce oui. Il m’avait embrassée. J’avais immédiatement pensé à Ezéchiel. J’aurais aimé pouvoir lui dire, pouvoir lui présenter sa nièce. Mais il n’était pas là, il n’était jamais revenu. Mon bonheur avait permis d’enfouir ma colère. Pourtant, elle était toujours présente. Alors, j’avais simplement prévenu le reste de la famille, et Célia.
▲ ▲ ▲ ▲DOUZE JUILLET DEUX MIL TREIZE → « Luis, non, tu n’iras pas embrasser notre fille dans cet état. » Il était complètement saoul, ça m’exaspérait. Une simple sortie entre copains, tu parles. Je l’avais vu se diriger vers la chambre de Joana, mais je l’avais intercepté. Soudain, je vis son regard changer. Il devint hargneux.
« De toute façon, t’as toujours voulu m’éloigner de Joana. » Il divaguait totalement. Je restais devant la porte, il n’entrerait pas dans cette chambre.
« Dis pas n’importe quoi ! Oublies pas que quand je t’ai annoncé ma grossesse, tu t’es enfui, et quand tu es revenu, je t’ai accepté ! Pour notre fille. » Mon ton était aussi hargneux que lui. De quel droit il se permettait de me dire que je l’éloignais de Joana ?
« Qui me dit que c’est moi qui t’ai engrossée ? » Sans que je puisse me contrôler, la gifle était partie. Claquante. Cinglante. Portant la main à sa joue rougie, son regard n’était plus hargneux, il était haineux. J’avais dépassé les bornes. Je ne connaissais pas ma force. Malheureusement, je ne connaissais pas la sienne, il m’avait poussée violemment. Je ne savais pas sur quoi j’étais tombée mais ce fut le trou noir. Je ne savais pas combien de temps je m’étais évanouie, j’avais du sang séché sur le front. Peu importait ma douleur, la seule chose qui me vint en tête de suite fut ma fille. Je me précipitais dans sa chambre mais elle n’était plus là. J’avais appelé Célia, presque en pleurs.
« Il a pris ma fille, Lia, il l’a prise, j’dois la retrouver. » Nous avions parcouru la ville, Célia avait appelé la police pour moi, j’étais trop paniquée pour le faire, je n’arrivais plus à prononcer un mot. En rentrant à l’appartement, il était là sur le canapé avec notre fille dans les bras. Je m’étais précipitée vers lui et la lui avais arraché des bras. Je m’étais reculée, ma fille dans les bras. Je n’avais même pas vu Célia s’avancer rapidement et se jeter sur Luis.
« Ne t’approche plus d’elles, espèce de salop ! » Elle m’avait pris le bras.
« Vas prendre quelques affaires, on s’en va. » Elle avait tendu les bras pour me prendre Joana, j’avais eu une seconde d’hésitation, je ne voulais plus la perdre de vue. Mais c’était Célia. Je lui avais tendu Jo, et étais allée faire mes valises. Je n’avais pris que l’essentiel, plus particulièrement les affaires de Jo. Célia m’avait accueillie chez elle. Quelques jours après, Luis m’avait appelée.
« Je sais pas ce qui m’a pris, j’t’en supplie, pardonne moi. » J’avais pris une grande inspiration.
« Non, c’est fini, Luis. » En raccrochant, je savais que, cette fois, mon histoire avec Luis était bel et bien terminée, et je savais que je ne pourrais plus faire confiance à un homme. La seule personne en qui j’avais véritablement confiance –hormis ma famille- était Célia.
« Il faut qu’on s’en aille, Lia, je dois protéger Jo. J’vais rejoindre Ezéchiel à Longside Creek. » J’avais pris ma décision.
« Viens avec nous. » J’espérais qu’elle dise oui. Seulement, j’avais lu dans son regard que ça n’allait pas être le cas.
« J’peux pas, Micah, tu le sais. » Oui, je le savais mais on dit bien que l’espoir fait vivre, n’est-ce pas ?
« Je t’aime, Célia. » C’était la première fois que je lui disais vraiment. Au fond, je ne savais même pas si je lui disais de façon amicale ou plus. Je repensais à notre baiser.
« Je t’aime aussi. Pas comme toi, mais je t’aime. » Doucement, avec un sourire, elle avait déposé ses lèvres sur les miennes en un doux baiser.
« Juste pour que je me souvienne du goût de tes lèvres. » J’avais souri. L’heure du départ avait sonné.
« Bye Jo. » Elle aussi lui souriait.
« Bye Lia. » Prochain arrêt : Longside Creek, arrivée prévue le deux août deux mil treize.
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